Après quasiment trois
semaines, voici venu le temps de quitter le Vietnam. Le Laos m'attend
derrière une frontière un peu escarpée. Trois cent kilomètres et
la promesse d'un ciel sans cette brume assez désolante qui
m'accompagne depuis mon atterrissage à Hanoï. Retour vers les 30°C.
Mais d'abord il faut compter une grosse journée de bus pour rallier
Savannakhet à l'autre bout du pays, sur les bords du Mékong, à la
frontière avec la Thaïlande. Après un pick up en bus à mon hôtel,
je suis déposé avec les autres touristes à la gare routière. Nous
embarquons dans le bus avec les locaux. C'est la grande manœuvre.
Nos sacs rejoignent le fond du bus à coté des cartons et autres
grandes poches. Les dernières rangées sont ici monopolisées.
J'imagine que les soutes sont pleines. A 9h nous partons, à l'heure
je pense. Mon voisin de bus est français, Greg. Nous engageons
rapidement une discussion captivante où nous échangerons autour de
nos voyages et anecdotes. L'occasion de parler d'Iran, d'Ethopie, du
Vietnam, du Cambodge, des USA, de la différence culturelle, de
l'engagement associatif, d'éducation populaire... Bref le temps
d'occuper allégrement les trois heures trente qui nous mènent à le
frontière.
Après un petit
tâtonnement, nous passons assez facilement les guichets de sortie du
Vietnam et d'entrée au Laos. Nous sommes juste allégé de 35$, le
tarif en vigueur. Nos sacs sont restés dans le bus. Apparemment la
douane est une option. Vu le bordel que ça a été pour charger le
bus je n'ose imaginer le temps qu'on perdrait si on devait tout
sortir. En attendant que les autres voyageurs finissent leurs
formalités nous cassons la croûte dans un petit boui-boui. Mon
premier repas laotien. De retour dans le bus je constate que nous
avons été rejoint par d'autres passagers. Le bus est maintenant
archi comble. On crée une cinquième rangée de siège en posant des
tabourets dans l'allée centrale. Les perdants au jeu des chaises
musicales finissent debout à l'avant du bus. Et 'est reparti dans la
bonne humeur générale.
Nous arrivons à
Savannakhet en fin de journée. Troisième ville du pays, il s'agit
d'un croisement entre la Thaïlande, le Vietnam, le nord et le sud du
pays. Pas grande activité touristique aux alentours. Du coup peu de
touristes. L'occasion de s'imprégner tranquillement de l'ambiance de
ce nouveau pays. Avec Greg nous finirons cette journée au bord du Mékong, dans la moiteur du soir et en compagnie de moustiques. Au
menu un mix barbecue/pot au feu avec les locaux dans un restaurant
(en mode chaises de jardin)
de plein air improvisé. Le lendemain un rapide parcours de la
ville, de son temple et de son église nous confirme le côté banal
de notre ville-étape. Je laisse Greg à ses préparatifs pour le
nord. Pour moi c'est cap au sud à Paksé.
Dans le tuktuk qui me
mène de ma guesthouse jusqu'à la gare routière je fais la
connaissance d'un couple de jeunes retraités français. Ils sont
assez marrants dans leur côté méfiants par rapport à tout. Le bus est du même
acabit que celui qui m'a conduit ici depuis Hué. La distance n'est
pas longue mais comme le bus s'arrête très souvent pour charger
d'autres passagers le parcours semble interminable. Rapidement, suite
à l'affluence, on installe de nouveau des tabourets en plastique
dans l'allée centrale. Pas franchement à l'aise, les retraités
français profitent d'un arrêt pour abandonner le bus. Ils me disent
que l'essieu du bus est endommagée. Il est vrai qu'un drôle de
bruit accompagne notre parcours. Le chauffeur jette un œil à la
roue incriminée. Il 'a pas l'air plus inquiet que ça. Je suis mon
instinct et reste dans le bus. Faire confiance.
Une heure plus tard me
voilà à Paksé qui doit être aussi grande que Savannakhet. Aussi
ordinaire également je pense. Je n'ai pas vraiment eu envie de
vérifier par moi-même. Beaucoup de touristes. C'est le camp de base
pour explorer le plateau des Bolovens. Normalement cela se fait en
scooter/moto sur deux à cinq jours. N'ayant que peu de temps devant
moi, je me rabats sur un tour en mini-van à la journée. En le
réservant je sais déjà que ça ne va pas me plaire mais il me
fallait quand même une impression
de cette partie du pays. Sans surprise, le van nous conduit
rapidement d'une chute d'eau à une autre en passant par une
minuscule plantation de café et un pseudo village de tisserand.
Finalement le moment sympathique de la journée sera la demi heure
passée dans le village traditionnel.
Je m'attendais également à un endroit aseptisé par les vagues
quotidiennes de touristes. Il n'en est rien. L'expérience est très
plaisante. Aujourd’hui en plus c'est jour de fête. Les anciens
sont posés sous une tonnelle en plastique. Ils boivent un breuvage
fermentée artisanal. On me tend un godet en bois pour goûter. On
dirait une sorte de bière tiédasse. Ni fameux ni désagréable. Ils
s'alcoolisent gentiment tout en jouant du khene, une sorte d'orgue à
bouche en bambou. Instrument plus que traditionnel et exclusif au
Laos et au nord-est de la Thaïlande. Mais le plus marquant n'est pas
là mais à une centaine de mètre plus loin. Sur la terre battue de
la grande place arrondie du village gît un robuste bœuf gris. Sur
le flanc. Éventré. Mort. Quelques pas plus loin, sur une bâche
déployée au sol, une poignée d'hommes s'affaire à dépecer la
viande extraite de l'animal. Une de mes collègues de la journée
pousse un petit cri d'effroi et de surprise. Un villageois est en
train de vider la matière fécale des boyaux, le plus naturellement
du monde. Moi qui craignais le côté musée
de la visite me voilà bien servie en terme d'authenticité. Le
village est pauvre. Les logements sont rudimentaires, mélanges de
planche de bois et de bambous tressés. Les maisons comme partout
dans cette partie d'Asie (Vietnam, Laos, Cambodge,
Thaïlande...) sont bâties sur
pilotis ce qui libère sous l'habitation un espace de vie aéré et
ombragé. On y retrouve une table et des hamacs où sont affalés les
laotiens autour d'amas de détritus plastiques qui jonchent le sol et
sous la poussière soulevée par les enfants qui courent entre les
logis.
Il
est déjà temps de poursuivre plus au sud. Je fais un crochet par
Champasak pour visiter le Wat Phu. Pour atteindre le village il faut
passer le Mékong. Pas de pont, il faut emprunter un bac à un
embarcadère de fortune. Une petite palette de bois posée sur deux
vieilles pirogues. Un moteur greffé à l'arrière . Voilà mon
ferry. Je le vois
arriver lentement, de l'autre rive, chargé de poulets vivants. Les
laotiens délestent le rafiot de sa cargaison.
Ils empoignent les volatiles attachés les uns autres par les pattes
puis les accrochent à
un scooter. Sur les rétro, les poignées, autour des sièges... Je
monte sur l'embarcation vidée et observe cet étrange cyclomoteur à
plumes s'éloigner. Fascinant pays. Champasak n'est pas vraiment un
village, il s'agit plus d'un gros ensemble de maisons et de
guesthouses alignées le long du chemin qui suit le cours du Mékong.
Il y a une dizaine de kilomètres de là au temple. Motivé, j'ai
opté pour le vélo. Ce n'était pas une riche idée. Le vélo étant
une vieille bicyclette au siège non réglable. Je me suis traîné
sur ma monture rouillée dans un grincement permanent et sous un
soleil de plomb implacable. Le bucolique a laissé place au calvaire.
Le Wat Phu est un sympathique temple khmer juché à flanc de colline
sous des arbres bien feuillus. Après avoir gravi une bonne flopée
de marches on profite d'un joli point de vue sur le lit du Mékong et
les plaines alentours, les narines légèrement taquinées par
l'odeur d'encens s'échappant du lieu de culte.
Encore
plus au sud se trouve un des hauts lieux touristiques du pays :
les quatre milles îles. Ici le Mékong s'élargit, de nombreux îlots
broussailleux flottent à sa surface. Parmi cet archipel végétal,
deux oasis émergés (et reliés l'un à l'autre par un
pont) offrent un havre de
détente aux voyageurs : Don Det et Don Khon. Trois kilomètres
de long chacun sur cinq cent mètres de large. Comme autour du lac
Atitlan au Guatemala, je retrouve une odeur de paradis perdu et une
légère ambiance hippie. Autour de l’embarcadère, on trouve la
partie vraiment festive
des lieux mais dés qu'on descend plus à l'ouest on découvre des
guesthouses plus paisibles où il doit faire bon s'abandonner.
J'explore les environs à vélo et je constate que beaucoup
d'occidentaux se sont
d'ailleurs sédentarisés. Sûrement un peu trop d'ailleurs, les
panneaux « we have Nutella » et
« Pastis & Pétanque » dénaturent
le cadre à mon goût. En regardant les anciens posés à l'ombre des
arbres je m'interroge sur leur état d'esprit. Ils ont vu leur île
changer. Ils ont vécu et vivent encore cette invasion de colons à
la cool. Leur mine à l'air dubitative. Indignés ? Résignés ?
Indifférents ? Je ne saurai dire. Il fait quand même bon se
reposer dans un des nombreux bungalows, allongé dans un hamac à
regarder tranquillement le Mékong couler en contrebas, un jus de
fruit en main.
Et
il est malheureusement déjà temps de passer du Laos au Cambodge. Je
suis attendu à Bangkok dans quatre jours ce qui précipitent un peu
mon parcours dans ce coin d'Indochine.
La frontière entre le Laos et le Cambodge est une des plus
corrompues d'Asie. Forcément j'appréhende un peu. En plus de cela,
les bus à touristes vers le Cambodge sont hors de prix. Je veux bien
être un touriste et surpayer certaines prestations, mais il y a une
limite à tout. En faisant des recherches sur internet, je découvre
une compagnie cambodgienne qui pour un prix cohérent peut me
conduire jusqu'à Siem Reap, ma prochaine destination. En revanche il
n'opère que depuis la frontière. Il faut donc juste que je me
débrouille pour parcourir la trentaine de bornes qui m'en sépare.
Facile je me suis dit. A 8h, mon hôte touche à tout (hôtel,
restaurant, location de vélo, laverie, change de monnaie, tour
opérateur...) me conduit en
barque à terre. De là je pensais prendre un bus local jusqu'à la
frontière. Au guichet on me dit que ce n'est pas possible. Je
comprends vite le manège. Tout le monde est de mèche. Le but est de
nous forcer à prendre les bus à touristes surtaxés. Ils savent
qu'il y a une compagnie cambodgienne qui proposent de bons tarifs à
la frontière. Leur but est donc de nous empêcher de nous rendre à
cette frontière par nos propres moyens. Impossible de prendre un
tuktuk jusque là, au mieux ils peuvent nous conduire au croisement
de la grande route à trois kilomètres. On voit que la corruption
locale est bien organisée et je pense qu'ils savent que nous savons
qu'ils savent... Bref, je repère vite un couple allemand et un
californien dans le même cas que moi. Nous unissons nos forces et
finalement nous optons pour la seule option proposée : le
tuktuk jusqu'au croisement. Là bas nous sommes déposés devant deux
flics en faction. Sûrement en train de contrôler qu'aucun local ne
s'aventure à conduire des touristes au delà.
Encore
plus de vingt bornes à faire. Le spectre de mes autres passages de
frontières galères me vient en tête (Argentine>Uruguay
et Argentine>Chili). Nous
commençons à nous mettre en marche en tentant l'autostop. Sans
grand succès. Nous essayons de négocier avec les propriétaires de
voitures/pickup/vans rencontrés sur le chemin. Échec également.
Les consignes semblent effectivement très claires et respectées.
Nous sommes six à présents, deux jeunes françaises nous ont
rejoints. Il est 9h30, le soleil commence à frapper fort. Dans
quelle galère je me suis encore fourré? Et puis finalement un petit
camion s'arrête. Nous négocions et nous sommes pris en charge.
Soulagés nous posons nos sacs parmi de grandes caisses en plastiques
et en polystyrènes puis nous prenons place à l'arrière du bahut.
Grand soulagement collectif. J'apprécie l'air frais qui vient
frapper mon visage et c'est avec plaisir que je vois ces derniers
kilomètres de paysage laotien défiler devant moi. A un kilomètre
du but nous sommes déposés. Alors que nous récupérons nos sacs,
un policier en moto se porte à hauteur du chauffeur et semble le
sermonner. Il a enfreint les consignes. J'espère qu'il ne sera pas
lourdement sanctionné. Nous le laissons pour ne pas envenimer la
situation et nous cheminons sur cette longue route asphaltée qui
nous conduit jusqu’au poste frontière.
Lieu désertique, chaleur
étouffante, pas un bruit à part celui de nos respirations. Ambiance
western version asiatique. Nous arrivons avant les bus de touristes,
les lieux sont donc vides et calmes. Sans surprise nous nous ne
faisons racketer (2$ pour le tampon de sortie du Laos
pourtant censé être gratuit et 35$ au lieu de 30$ pour l'entrée au
Cambodge). On n'ose pas
protester. On vient de bien galérer et on a pas envie de repartir
dans une situation compliquée. Trente minutes plus tard et après
nous être littéralement faits jeter les passeports à la figure
nous quittons avec humour cette zone corrompue. A peine plus loin
notre contact cambodgien nous attend. Retour à la normalité. Posé
au café de ralliement nous accueillons les autres backpackers
qui arrivent au compte goutte. Nous sommes finalement en tout une
grosse quinzaine à nous être extirpés du piège
laotien. Vers 11h30 nous prenons place dans deux minibus et nous
partons. Une heure plus tard, rapide pause déjeuner,
changement de minibus et direction plein pot vers Siem Reap. Ce sera
ma seule et unique étape au Cambodge. Je profite donc pleinement des
paysages et des scènes de vies qui défilent au travers du vitrage
du van.
Siem
Reap c'est la ville qui touche les temples d'Angor. Ancienne capitale
de l'empire khmer. Un héritage culturel classé patrimoine mondial
par l'Unesco. Un million de visiteurs annuel. Bref, le principal lieu
touristique du pays. Difficile d'éviter les foules. En revanche je
compte bien profiter de cela dans de bonnes conditions. La veille je
réserve donc les services d'un tuktuk pour la journée. Le lendemain
à 5h pétantes me voilà devant mon hôtel. Surprise, mon tuktuk
s'est transformé en voiture. Mon chauffeur a refilé la course à
son frère. Le tarif négocié reste le même. Tel cendrillon je
prends donc place dans mon carrosse. On se rend aux guichets, cinq
kilomètres plus au nord. Dans la nuit encore noire nous doublons une
impressionnante procession de tuktuk. Il va y avoir du monde. La
billetterie se décompose d'une bonne vingtaine de guichets déjà
assaillis par une grosse centaine de personnes. Je fais la queue, on
me prend en photo, je paye (cher) et
on me tend un pass orné de ma trombine. L'opération a été
rapide, on sent l'usine. Je rejoints mon chauffeur et nous filons
directement vers Angor Vat le plus célèbre des temples. Je me mêle
à la vague de zombies qui avance, guidés par la lueur des
portables, vers le cœur du site. Il est 5h30, il fait encore bien
sombre. Malgré l'affluence, il y a quelque chose de mystique à
s'aventurer entre ces pierres chargées d'histoire. Je prends place
face au temple comme mes congénères. Nous sommes prêts à observer
le jour se dévoiler et abattre ses lueurs sur les cinq tours bien
emblématiques du temple. Sur les balustrades voisines, quelques
singes matinaux moqueurs observent notre étrange manège.
Tranquillement l'astre solaire monte dans le ciel et révèlent au
jour les détails du monument de pierre.
Avant que la chaleur ne
frappe trop sévèrement et voulant devancer la foule encore amassée
devant l'édifice, je me lance dans l'investigation du lieu. C'est
agréable. Les gravures murales et autres ornements sont bien
conservés. Toutefois on reste loin de la magie que j'ai pu vivre au
Machu Pichu ou à Tikal. A Angor, j'ai même préféré le temple
voisin de Bayon. Un étrange édifice arrondi autour du quel
s’élèvent de nombreuses tours garnies de têtes de Bouddha. Du
temple j'en aurai toute la journée. Sept au total. Et tous dans des
ambiances différentes. Ta Prohm (qui a servi de lieu de
tournage pour le film Tomb Raider)
est envahi par de grands arbres qui ont pris solidement racine dans
les pierres. A l'ombre des hauts feuillages, il est fascinant de voir
la force de la nature venir envelopper ces vestiges humains.
Le soir,
après cette journée bien remplie, je me dirige vers le cœur de la
ville. Secteur quadrillé et piétonnisé. Les restaurants et bars
s'enchaînent. Une enseigne lumineuse « pub street »
est fièrement accroché au dessus de la rue. L'instant d'un moment
je pense m'être transporté du Cambodge vers Frémont street à Las
Vegas. Je fuis les rabatteurs et m'écarte de cette foule. Je trouve
asile dans un restaurant plus aux couleurs locales. J'en profite pour
goûter de la viande de crocodile. Texture caoutchouteuse entre le
poisson et le poulet. Rien d'extravagant. Ainsi se termine mon gros
mois à arpenter la péninsule indochinoise. A présent, direction
Bangkok pour une virée dans le sud de la Thaïlande.
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