lundi 14 août 2017

New York, les écureuils et les pigeons

L'agent d'immigration est monté sur le bateau. Après un interrogatoire en règle il a tamponné mon passeport et m'a autorisé à poser le pied sur le sol américain. Au bas de la passerelle, nous attendait un chauffeur qui devait nous conduire au bureau de l'immigration pour finaliser notre entrée sur le territoire avec notamment la prise d'empreintes. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'entre lui et moi, ça ne l'a pas fait. Assez autoritaire dans sa démarche (« pose ton bagage ici, toi, le tien là »), j'ai eu le malheur d'ouvrir la portière sans sa permission. S'en est suivi une vive séance de remontrances où j'ai vite compris que je n'étais pas chez moi, et pas nécessairement le bienvenu. Nous sommes finalement montés à bord de la voiture. L'ambiance était glaciale, et ce n'était pas lié qu'à la climatisation. Le bureau d'immigration se trouve à Bayonne, sur un autre terminal portuaire, celui des croisières (on a pas idée d'arriver à l'étranger sur un bateau de marchandises). Nous avons donc roulé un bon moment, longeant des bâtiments industriels désaffectés, dans des rues défoncées et désertes. Le soleil couchant commençait à nous fuir. Des images non sans rappeler le cinéma de Scorsese. Ambiance. Finalement, une fois les formalités faites, nous avons été déposés dans Manhattan, après un trajet sur un mélange sonore de country et de musique classique. Mais Manhattan n'était pas ma destination finale. J'ai décidé de résider dans Brooklyn, et plus précisément à Bushwick, mais je vais y revenir.

central park

J'ai déjà eu la chance de passer une semaine à New York il y a une dizaine d'année, et trois jours plus récemment. J'ai eu plaisir à retrouver certains endroits. La quiétude de Central Park, où les glandeurs côtoient les sportifs. Les rues ombragées et animées d'East Village. Le plaisir de capter et sentir cette énergie. L'architecture improbable du Flat Iron. J'en ai également profité pour découvrir des lieux que je ne connaissais pas encore, comme la High Line, ancienne ligne ferrée aérienne, astucieusement transformée en une belle ballade verte qui slalome entre les buildings et survole les voitures. J'ai découvert le One World Trade Center achevé. Au pied du building, on retrouve le mémorial du 11 Septembre. Au cœur d'un jardin sobre, les deux anciens emplacements des Twin Towers sont matérialisés. Pour la mémoire, comme une cicatrice. Ces deux trous béants ont été aménagés en sortes de piscines sans fond. Sur tout leurs périmètres coule une cascade qui se vide dans un trou central comme des larmes intarissables. Le nom des victimes recouvrent tout le pourtour. Un bel espace de recueillement. Niveau histoire, j'ai également fait un saut à Ellis Island. La porte d'entrée de l'Amérique de la fin du 19éme siècle jusqu'à la moitié du 20éme siècle. Un beau musée assez instructif dans les bâtiments d'époques bien conservés.

hall ellis island

Parcourir la grande pomme fait inévitablement cheminer par d'autres lieux emblématiques, mais qui me touche moins. Moins qu'il y a dix ans en tout cas. Chinatown, Time Square, l'Empire State Building, le Rockefeller Center... Et puis en sortant de Central Park, en descendant la 5eme avenue, je suis passé devant la Trump Tower. La dernière fois, l'homme était un milliardaire excentrique, aujourd'hui il l'est toujours mais il est devenu en plus président de la première puissance mondiale et nous livre actuellement une guerre d'égo avec son équivalent nord-coréen. Frissons dans le dos. Je regarde les gens se prendre en photo en masse devant l'objet phallique. Je reprends ma marche un peu désappointé quand je tombe sur un homme remontant la rue dans l'autre sens et arborant un t- shirt blanc avec l'inscription « I Miss Obama » (Obama me manque). Une photo, une poignée de mains, un rapide échange et je repars. Et c'est maintenant avec le sourire que je regarde les bus déverser des flux de touristes asiatiques sur les trottoirs qui aussitôt s'agglutinent sur les vitrines en face.


Mais finalement, le New York que je veux vous raconter n'est pas celui de Manhattan. Je veux vous raconter celui de Brooklyn. Le voisin prolo. Pour parler de Brooklyn, je pourrais évoquer Dumbo au pieds du Brooklyn Bridge où on a une vue imprenable sur Manhattan et ses gratte-ciels. Je pourrais également aller tout au nord à Greenpoint pour décrire la vie animée et populaire qui s'y déroule et où on croise une petite communauté polonaise.


Pour parler de Brooklyn, j'aurais pu évoquer, tout au sud, Coney Island. Une anomalie, un lieu hors du temps. La plage à une heure de Manhattan. Un cadre démodé et vieillot mais qui garde son charme. Une longue et large promenade en bois longe la plage et borde le parc d'attraction de Luna Park et autres stands à hot dogs et confiseries. Les deux rues qui traversent le quartier ont des noms dans l'esprit: l'avenue du Surf et l'avenue des Sirènes. Tout un programme. Palavas les flots, le kitsch en plus. On y croise également le stade du NY Cosmos, ancienne équipe glorieuse de soccer (aujourd'hui en ligue mineure) où a évolué Pelé. Sur le ponton les badauds regardent des habitués en train de s'exercer à la pêche. Mon regard lui est dans l'autre direction, sur ces cargos posés à l'horizon. Instant nostalgie.


coney island

Pour parler de Brooklyn, j'aurais pu décrire Little Odessa, petite enclave russe. Sous le métro aérien, une rue continuellement ombragée dessert une multitude de magasins aux enseignes en cyrilliques. Chaque passage de métro fait un vacarme impossible qui ne semble pourtant pas perturber la population locale.

little odessa

Pour parler de Brooklyn, je pourrais parler de Williamsburg. Quartier branché qui fait face directement à Manhattan. Avec la pression immobilière, de jeunes new-yorkais imaginatifs et créatifs s'y sont installés et ont donné une autre vie à ces anciens entrepôts (lofts, bars, boutiques...). La visite y est agréable le long de Bedford Street et Berry Street. Au bord de l'East River, quelques espaces verts offrent de superbes vues sur les densités de Manhattan. Mais le soir (en tout cas celui où j'y étais et dans les lieux où j'étais), la mixité s'estompe, les bières coulent à flot, mais le charme de l'endroit s'évapore. Indiciblement, le capitalisme a rattrapé la fougue locale et semble avoir repris ses marques. Comme si la maladie de Manhattan avait franchi le pont. Mon Brooklyn est ailleurs.


Non, pour parler de Brooklyn, j'ai choisi de parler de Bushwick. Le quartier où j'ai séjourné. J'ai choisi de résider à Bushwick car c'est là que me paraissait se trouver une partie de l'énergie actuelle de la ville. L'énergie de ceux qui créent, qui s'approprient de nouveaux territoires, de nouveaux espaces. Et là également où résident les new-yorkais du quotidien. Ceux qui travaillent sur Manhattan mais logent de l'autre côté de l'East River. Dans le prolongement de Williamsburg donc, Bushwick est un vaste territoire métissé. La mixité tranche, elle est visible. Au supermarché du coin, chaque communauté à d'ailleurs son propre rayon avec ses propres produits. Il y a du riz partout mais jamais le même. Ah, La bouffe! Une catastrophe! Je vous épargne la description de ce qu'ils appellent fromage et charcuterie. Heureusement il reste quelques enseignes « organic » pour me sustenter. Organique en opposition à transformé, modifié, chimique...

graffiti bushwick
graffiti bushwick
graffiti bushwick

Le quartier est grand, six stations de la ligne L du métro le desservent. Au nord, autour des trois premières, on retrouve de nombreux entrepôts et ateliers. C'est naturellement là qu'on sent l'évolution en cours. On aperçoit une multitude de tags et graffitis qui recouvrent ces grands palissades et murs en tôle et briques. Et de ci de là, certains de ces espaces ont muté. Une population a décidé d'y apporter une nouvelle énergie, d'en faire un espace de vie, de création et de détente. En fin de journée, l'atmosphère y est très agréable. Au détour d'une rue, on voit se détacher l'Empire State Building en fond. Mais on est déjà loin. Ici, on respire.

rue bushwick
 
Moi, j'habite au sud du quartier, dans la partie résidentielle. Le long des avenues, on retrouve les commerces sans charme (laveries, fast food, coiffeurs, supérettes...) d'où partent, à angle droit, de longues rues où s'alignent de nombreuses habitations groupées. Un ou deux étages desservis par un petit escalier en pierre et un sous sol accessible par une trappe. A l’arrière de chaque habitation une minuscule cour privative. Un ensemble de petits blocs dans la plus pure tradition américaine. Et de temps à autre un petit parc (de l'herbe clairsemée et des bancs) toujours bondé. L'ensemble n'est pas propre, loin de là. Mais ce désordre n'est pas dérangeant. Les rues ne sont pas délabrées, on va dire qu'elles sont usées, qu'elles ont vécu. Car de la vie, il y en a tout le temps, partout. Des grosses voitures passent au ralenti, toutes vitres baissées, volume sonore à fond. Des anciens se regroupent autour d'un banc à l'ombre d'arbres faméliques. On observe des gens pressés qui ne laissent sur leur passage qu'une haleine de shit. Des gens qui prennent leur temps, à pied , à vélo. Des gens bien occupés qui trimballent tout un attirail. Des dégaines singulières. Des langues étrangères, de l'espagnol, du chinois, et d'autres que je ne peux identifier. J'observe ça du fronton de la maison le soir, assis sur les marches. Je contemple cette Amérique et son quotidien. Tout au sud, le quartier se termine par une vaste étendue verte. Le cimetière d'Evergreen. Les tombes se résument à de simples pierres tombales plantées dans l'herbe. Les patronymes gravés sur le minéral renvoient bien à la diversité observée chez les vivants.

evergreen bushwick
 
La ligne de métro structure ce quartier populaire. Elle est également très représentative de ses habitants. En fin de journée, on y accompagne ces travailleurs qui quittent Manhattan et rentrent chez eux. On observe leurs sacs de commissions estampillés « Trader Joe ». Vu la qualité des commerces de proximité, je peux comprendre le choix. Après une dure journée de labeur à servir dans un restaurant, faire l'entretien d'un immeuble de bureau ou travailler sur un chantier, les gars de Brooklyn rentrent chez eux avec leur stocks de « noisettes » comme des écureuils, alors que sur Manhattan il reste certains touristes qui ne consomment que ce qu'on leur donne, comme des pigeons. La comparaison peut être prétentieuse et quelque peut sévère, mais en observant dans Madison Square Park un écureuil manœuvrer une flopée de pigeons comme un chien de berger avec des moutons elle s'est imposée naturellement à moi. 


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