Puerto Rio Tranquilo est
difficilement accessible. Minuscule village qui ne doit son attrait
qu'au tourisme. On vient essentiellement ici pour découvrir une
particularité géologique appelée cathédrales de marbre.
L'érosion a attaqué la roche et offre de jolies cavités à
explorer depuis le lac. Tôt le matin je prends place dans une barque
à moteur pour partir à la découverte de ce trésor local. Le
soleil est de la partie ce qui enrichira l'expérience. Les jolies
couches colorées des plafonds rocheux se reflètent magnifiquement
sur le bleu turquoise du lac. Nous resterons un moment à admirer ce
spectacle et à nous engouffrer dans le creux de ces parois
sculptées. Le vent souffle fort sur cet immense lac. Les quinze
minutes de retour seront un moment mémorable également. Le bateau
tangue fortement sur ce lac qui commence à sérieusement onduler.
l'embarcation frappe fortement les vagues de face. Nous sommes
secoués et irrémédiablement trempés de la tête au pieds. C'est
bien la peine de passer quinze jours au milieu de l'Atlantique pour
vivre son instant marin le plus mouvementé sur un lac en Patagonie.
Après un chocolat chaud de circonstance en compagnie de deux
françaises de mon
groupe de la veille (l'autre partie ayant pris l'option
kayak) nous partons en quête du
bus de 11h pour la suite du périple. Problème celui-ci est complet.
C'est le dernier de la journée. Les françaises tentent l'option
stop, les autres font le tour des agences en quête de minibus. Ne
souhaitant pas me stresser, je prends quant à moi l'option
restauration. Deux heures plus tard je retrouve la bande au
détour d'une rue de ce micro village. Auto-stop infructueux,
l'ensemble tente de se caser dans un minibus prévu vers 16h.
Coyhaique est à quatre heures de route. Je passe mon tour, je salue
tout le monde et vais flâner durant l’après midi. Je tenterai ma
chance au premier bus du lendemain vers 9h. Aujourd'hui c'était jour
d'élections au Chili, et c'est le soir au restaurant en discutant
avec un couple de quinquas français que je vois défiler un bruyant
convois de 5-6 voitures. Drapeaux nationaux aux vitres et
enchaînements de klaxons, pendant une heure, les partisans du
vainqueur du jour font des rondes
autour des trois rues du village.
Le
lendemain, le petit bus pour Coyhaique ne sera qu'à moitié rempli.
Comme quoi... Le paysage sera aussi plaisant que celui offert depuis
Chile Chico. Nous longeons le lac encore une petite heure avant de
plonger dans la vallée. Sans le côté rustique de la route en
terre, on pourrait se croire au cœur des Alpes: montagnes enneigées
en fond, terrain légèrement vallonnée, vaches broutant dans une
herbe verte et grasse. Coyahique est la grande ville de cette partie
chilienne. On raccroche à une petite enclave d'urbanisation. Je suis
même surpris à la vue d'un feu tricolore. Je crois bien que c'est
le premier que je vois depuis Ushuaïa. Cela dit beaucoup de choses
sur la faible population vivant en Patagonie. Je quitte le terminal
de bus et me dirige vers le centre. Il y a un peu d'animation. Les
chiliens sont en train de finaliser leurs achats de Noël. Je me
faufile entre les gens chargés de sacs et les stands d'emballage
cadeau. Au détour d'une rue piétonne je tombe sur ma bande
de français. Non seulement
c'est peu peuplé mais en plus les grands
endroits ne le sont pas tant que ça. Ils semblent autant en stress
que la veille. En effet, ils m'apprennent qu'il y a eu un éboulis
plus au nord. La route australe est bloquée. Le Chili a le charme
d'être un pays tout en long mais a donc aussi l'inconvénient d'être
dépendant de la seule route qui le traverse dans sa partie sud.
Seule option à présent donc, trouver un ferry pour regagner l'île
de Chiloé à l'ouest ou directement la ville de Puerto Montt qui se
trouve au début de la partie nord du pays. Moi qui hésitais encore
sur la suite de mon voyage, le sort a décidé pour moi. Ce sera donc
Chiloé.
Je
quitte une nouvelle fois le groupe de français. Je pose mon sac dans
une auberge et prends un repas dans un restaurant local où passent
les infos à la télé (l'éboulement a eu lieu à Santa
Lucia et a apparemment fait une douzaine de victimes).
Je pars ensuite en quête d'une compagnie de ferry. La population
locale a pris la mesure de la situation et s'est mise en branle. Dans
l'officine je suis obligé de prendre un ticket comme à la sécu. Et
finalement après une assez longue attente j'arrive à dégoter un
billet sur un bateau pour le surlendemain. Je serai en revanche
obligé de me rendre à Puerto Cisnes à trois d'heures d'ici. Ma
traversée doit durer une douzaine d'heures et arriver à Quellon,
sur l'île de Chiloé, vers minuit. Ça va être sympa pour trouver
un logement à cette heure là. Mais chaque chose en son temps. Le
lendemain après avoir fait le rapide tour de la ville je me pose à
la bibliothèque en attendant mon bus de fin de journée. Prendre le
bus est ma nouvelle routine. Amusé, je regarde les chiliens charger
leurs paquets de Noël dans le bus. A partir de Coyhaique la route
est goudronnée. Rapidement, on replonge parmi les champs roussis,
les forêts à flanc de montagnes, les lopins de terres où voltigent
au gré du vent des fleurs violettes, bleues, blanches et oranges. A
la faveur des virages on passe et repasse au dessus d'un ruisseau qui
serpente en contrebas. Plus loin, la route redevient encaissée, elle
sillonne entre le relief arboré en longeant de nombreuses cascades.
Je regarde l'eau dégouliner des montagnes. Le ciel se met au
diapason, des gouttes viennent perler sur les vitres embuées du bus.
Le jour décline, nous approchons du but. C'est sous la pluie que
nous débarquons à Puerto Cisnes, modeste village de maisons en
bois. La fumée des cheminées se mêle à l'atmosphère humide qui
recouvre le village. Avant de me coucher, je dégusterai un saumon
local dans un des bouis-bouis en bois. Finalement, face à la forte
demande, la compagnie de ferry a augmenté la cadence de ses
traversées. Du coup elle a avancé la mienne de 12h à 9h. Le seul
problème, c'est que je n'ai pas été prévenu. Donc j'imagine que
pendant que je m'offrais une grasse mat', le bateau s'est fait la
malle. Le suivant est prévu le soir à 21h. Cela veux dire deux
choses. Premièrement, plus besoin de m'inquiéter pour trouver un
hôtel à Quellon. Deuxièmement, je vais devoir passer la journée
dans ce trou à rat
charmant petit village chilien.
A la base, ce qui me plaisait dans la traversée diurne initiale
c'était de pouvoir profiter du paysage. Voir le bateau s'infiltrer
le long des fjords chiliens. Mais c'est sur qu'en partant à 21h ça
compromet le spectacle. Je resterai donc cantonné dans la salle
principale où je passerai la nuit sur mon siège inclinable. Un bus
de nuit mais sur l'eau en somme. Nous arrivons à Quellon vers 9h. Du
pont, j'observe les véhicules s'extraire du ferry et notamment un
camion de bétails ? Les vaches doivent bien se demander ce qui
vient de se passer. Sous la pluie, je regagne le terminal de bus
voisin, comme la grande majorité des autres passagers. Après un
embouteillage aux guichets je monte à bord d'un bus pour Castro, la
grande ville de l'île, située au centre. Avec l'intention, malgré
le temps breton, de m'y poser un peu. Les montagnes ont disparu, je
découvre un Chili quasi plat, un Chili insulaire. Castro est agréable avec
sa jolie petite église en bois et son enfilade de maisons sur
pilotis. Ce sera mon camp de base pour ce petit séjour sur l'île de
Chiloé. Les déplacements sont assez faciles, il faut juste avoir du
temps et apprendre à passer d'un colectivo à l'autre.
Le premier
jour je ferai la visite des petites villages et de leurs églises en
bois, nombreuses mais sobres. Entre deux averses, j'observe le charme
de la vie locale. Les voitures monter et descendre des différents
bacs qui permettent de sauter d'une île à l'autre. Le commerce
s'effectuer autour d'un petit marché en bois qui s’organise autour
d'un semblant de port. Les chiens courir sur la plage à la poursuite
de fugaces mouettes. Le deuxième jour sera consacré à
l'exploration du parc naturel à l'ouest. Une belle imitation de ce
qu'est notre Bretagne. Au bout du chemin on observe l'océan
Pacifique dérouler ses vagues.
Mais au delà du paysage, ce que je
retiendrai de Chiloé c'est mon séjour à l'auberge et ses
mémorables soirées. Le gérant, Miguel, est un véritable
personnage. On n'est pas vraiment dans une auberge, on est chez lui
et on est très bien accueilli. Fin cuisinier, il s'affairera
derrières ses fourneaux pour offrir au petit comité de résidents
une excellente découverte des produits culinaires de l'île
(poissons et fruits de mer).
Fêtes de fin d'année obligent, il accueille également son cousin
et son épouse. Son cousin qui joue pas moins de deux cent quarante
instruments nous offrira quelques démonstrations pour accompagner
finement ces mets. Miguel ambitionne d'ouvrir un restaurant, en
plaisantant je lui propose comida y glou glou,
mais l'idée semble avoir fait mouche. Si jamais vous passez par là
et voyez un restaurant avec ce nom là, ne cherchez pas plus loin
l'origine.
Le
lendemain et quatre
heures de bus plus
loin, en raccrochant au continent, je fait escale à Puerto Varas où
je vais passer Noël. Je reste dans l'ambiance puisque l'auberge a
décidé d'organiser un petit repas de Noël. Les choses sont bien
faites, on a dressé une table pour une vingtaine de convives dans
une salle tout juste assez grande. Nous avons un joli panaché de
nationalités (sans doublon)
pour une très belle soirée d'échange. Un anglais de Sheffield, une
allemande expatriée à Vienne, un danois, une polonaise, une
finlandaise, un couple andalous, un australien de Perth, un américain
d'Austin, une uruguayenne, deux potes chiliens qui traversent le pays
à vélo, une brésilienne, un israélien, un argentin de Bariloche.
Bref un joli bordel sous un fond de Manu Chao que certains seront
surpris d'apprendre la nationalité française. Il sera question de
vin, de maté, des différences de la langue espagnole en fonction
des régions, de voyage et d'autres sujets tout aussi important. Le
lendemain, la grasse matinée est de mise pour tout le monde. Au
petit déjeuner on retrouve tout cette petite bande attablée
derrière des tasses de cafés et non plus des verres de vins. Une
grande famille éphémère. La famille des voyageurs. Le temps est
mauvais à l'extérieur, chacun en profite pour joindre ses proches
en ce 25 Décembre. Puerto Varas borde un lac et fait face à des
volcans. Le mauvais temps ne me permettra pas de vérifier ce dernier
point. Dix jours de mauvais temps cela fait trop. Je décide de
tracer direct vers Santiago et revoir mon pote le soleil. Une
dernière nuit de bus et j'aurai abattu les trois milles bornes
séparant Ushuaïa de Santiago.
Cette période de Noël
est l'occasion d'un mini-bilan. Après prés de cinq mois sur la
route à se confronter à soi-même, je peux dresser un premier
retour sur une de mes grandes appréhensions d'avant départ :
la solitude. C'est ce qu'en principe tout le monde cherche à fuir.
Seul est rapidement assimilé à rejeté, exclu et différent. On a
besoin de l'autre pour se rassurer, exister et être reconnu. La
solitude c'est aussi la peur de l'ennui. Aujourd'hui on n'ose pas se
confronter à soi-même. A l'époque du tout connecté, notre
smartphone devient notre meilleur ami. Celui qui ne nous laisse
jamais seul. Alors, oser ralentir, oser se poser, oser se
questionner, oser s'affranchir de la pensée commune pour trouver sa
voie n'est pas chose aisée. Accepter la solitude c'est finalement
arrêter de se fuir. Se définir comme unique, apprivoiser cette
solitude, c'est donc se découvrir. Une introspection qui nous
affranchit d'autrui. En allant au plus profond de soi, on s'affirme,
on s'accepte. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est dans
cette démarche qu'on s'ouvre réellement aux autres, en les
reconnaissant également comme unique. Bien sur, l'homme n'est pas
solitaire, c'est un animal grégaire. Pour autant, chacun est
différent, et on existe vraiment qu'en se reconnaissant comme tel et
non pas en voulant tenter de ressembler à tout prix à l'autre.
Ainsi,
bien que seul durant mon voyage je me sens pleinement ouvert au monde
qui m'entoure. Pleinement dans l'empathie. Car au final, la solitude
rapproche. J'ai autant de plaisir à découvrir les merveilles qui
s'offrent à moi que de voir le sourire s'afficher sur le visage des touristes
qui m'accompagnent. Alors oui, je mentirai si je disais que je n'ai
pas également un sentiment de manque. Mais je sais aussi que dans
mon ancienne vie j'avais ce manque de voyage et d'ailleurs. La
vie est remplie sans cesse de frustrations et c'est ce qui donne de
la valeur à nos choix. Pour être heureux, il faut peut être juste
commencer par décider de l'être.