dimanche 24 juin 2018

Parfum d'Europe


A priori dernière journée marathon de mon voyage qui commence par un départ de mon hôtel d'Oulan Bator vers les 4h30 du matin avec les premiers rayons du jour. Décollage à 7h pour six heures trente de vol qui me mènent à Moscou. Dans la capitale russe, il n'est localement que 9h30 à cause du décalage horaire. L'aéroport est truffé d'affiches pour la coupe du monde de football qui débarque elle aussi ici dans deux jours. Petit regret. Avec un peu plus de préparation et d'anticipation elle aurait pu être sur ma route. Mais ce qui m'énerve le plus c'est de voir ma carte refusée aux différents kiosques et mon oubli de changer mes billets de banques mongoles avant de partir. Ici, ils sont snobés par les banques. Bref pas malheureux de redécoller deux heures après. Me voilà donc finalement à Helsinki. En arrivant devant les guichets d'immigration je réalise qu'il s'agit de mon dernier passage de frontières. Je vais échapper aux traditionnelles questions sur le but de ma visite, mon lieu de séjour et ma date de départ. Ce coup-ci je rentre chez moi. Même si la route ne semble pas évidente. Et c'est en voyant sortir des euros du distributeur que je comprends que je suis pas loin du retour même s'il me reste encore plus de trois milles bornes à dérouler.


Voici donc la dernière partie de mon voyage : traverser l'Europe de haut en bas. Une descente assez urbaine, je vais égrener tranquillement chacune de ces villes tel un pèlerin avec son chapelet. C'est une partie de l'Europe que je connais peu et j'avais envie de voir des « vieilles » villes avec des bâtiments chargés d'histoire. Chose qu'il m'a manquée aux Amériques. Helsinki sera la première. Vu le prix élevé de l'hôtellerie locale, mon séjour sera bref. Je paye sévèrement le décalage horaire. Techniquement nous sommes en début d’après midi, pour mon cerveau c'est le début de la soirée et pour mon corps qui s'est levé aux aurores c'est l'agonie. Mais le beau temps et la belle agitation donne de l'énergie. La capitale finlandaise est assez animée, il y a même un gros festival avec concerts gratuits dans le grand parc de la ville. Une demi journée m'aura permis humer un peu de cette ambiance de cette capitale mi-scandinave mi-soviétique. 




Le lendemain matin je m'offre une traversée de deux heures en ferry pour rejoindre l'Estonie et Tallin. Petite agglomération qui abrite une magnifique vieille ville cerclée de ses remparts médiévaux. On traverse ses rues pavées pour passer de la grande place aux différentes églises. C'est assez coloré, bien décoré, on reconnaît l’influence saxonne, voire flamande. Je retrouve en effet les même maisons « à crochet » qu'à Amsterdam (maisons sur 2/3 niveaux au sommet desquelles un crochet permettait, à l'aide de cordes, de faire coulisser les marchandises vers les étages supérieurs du logis. Le rez de chaussée étant généralement la boutique) preuve de l'histoire commerçante de ce port posé sur la Baltique. C'est exactement le genre d'ambiance que j'ai plaisir à retrouver. Je m'éloigne un peu de la partie touristique pour faire un détour au faubourg proche et c'est son immense marché astucieusement agencé dans d'anciens bâtiments de pierre qui naturellement m'attire. Un excellent saumon accompagné d'une savoureuse bière locale finiront de me convaincre sur les qualités de cette belle petite ville.








Quatre heures plus au sud, Riga a elle aussi des atouts à faire valoir. Le centre est plus grand mais plus hétéroclite. On trouve ici aussi de belles places, de jolies façades et de grandes églises, majoritairement orthodoxes, l'influence locale. Comme à Tallinn, un marché jouxte le centre. C'est d'ailleurs là que je réside. Je le traverse régulièrement. Mais c'est pas du tout la même ambiance que dans la capitale estonienne. Ici, ce sont aussi des bâtiments reconvertis. Il s'agit d'une ancienne base navale. Les édifices sont imposants. Ils ont moins de cachet mais offre un certain charme. Mais j'aime bien circuler entre ces stands qui savent donner une nouvelle vie à des lieux chargés d'une autre histoire.








La coupe du monde de football va morceler mes visites. Chaque affiche est l'occasion pour moi d'une anecdote. Pour France – Australie, je repense au guide de mon tour de ville à Melbourne avec qui j'avais un peu parlé football et qui avait la chance d'avoir eu des billets pour ce match. Il doit être quelque part dans ce stade. Pour Argentine – Islande, je repense au tirage au sort de cette coupe du monde. Je venais juste d'arriver à Buenos Aires et j'ai juste eu le temps de me jeter dans un bar pour assister à ce fameux tirage au sort. Les argentins étaient rivés sur l'écran, j'ai débriefé avec quelques uns après. Ils me disaient de me méfier du Pérou, je leur en ait dit autant sur l'Islande, mais ils ne semblaient pas convaincus. Ils ont eu tort. Vilnius clôturera mon court séjour aux pays baltes. Ville agréable mais avec moins de charme que ses deux voisines. On y trouve en revanche un nombre incalculables d'églises toutes plus différentes les unes des autres. Mention spéciale à la cathédrale Saint Stanislas qui a une forme de capitole avec son clocher détaché






Direction la Pologne à présent. Encore un changement d'ambiance à prévoir. Le bus nous pose au cœur de la ville de Varsovie. Une immense place mal agencée où se mêle parkings, esplanades et parcs. Et au milieu trône une immense tour aux formes rectilignes toutes soviétiques. Il s'agit en fait du palais de la culture et de la science érigé dans les années cinquante à l'initiative de Staline. Plus de deux cent mètre de haut. On est cinq ans après la fin d'une guerre qui a fortement touchée la ville, je ne suis pas sur que l'érection d'un tel monument fut la priorité des varsoviens. C'est simple en descendant du bus je pensais me trouver dans le Bucarest de Ceausescu. On sent de la tension dans l'air. En effet, c'est au tour de la Pologne de faire son entrée dans la coupe du monde contre le Sénégal. Il y a bien une sorte de mini-écran géant sur la grande place mais il semble réservé à une clientèle VIP. Je me pose donc au zinc d'un petit bar pour vivre le match avec les locaux. Il est 17h, certains sont à la bière mais les plus téméraires sont à la vodka. Si le score sera défavorable et cassera un peu l'ambiance, un but polonais en fin de match ravivera quelque peu la flamme. Le bar paiera même sa tournée générale : shooter de vodka pour tout le monde. 


Deux kilomètres plus à l'ouest, on découvre la vieille ville, ou plutôt la « nouvelle » vieille ville puisque celle-ci a été complètement détruite durant la guerre puis reconstruite à l'identique. Si je ne le savais pas il m'aurait été dur de le deviner tant le travail est bien fait. A l'opposé, à l'est, le grand parc royal Lazienki offre de jolis parcours ombragés sur de larges sentiers qui s'aventurent sous d'imposants arbres feuillus à la découverte de pavillons de pierres à colonnes et leurs jardins. Un univers très versaillais, à l'image de ce petit palais flottant posé sur un canal. 







Ainsi, de bus en bus, je glisse tranquillement sur ces routes d'Europe. Encore de long kilomètres qui forgent l'esprit. Si le bus file droit, sur de lui, je ne sais trop, quant à moi, de quoi je m'éloigne et de quoi je me rapproche. Je vais boucler la boucle, certes. Mais je sais que je ne reviens pas vraiment à moins point de départ. Mes bagages seront chargés d'un peu plus de certitudes et surtout de nouvelles envies. Un retour pour un autre départ en somme. Pour l'heure c'est Cracovie qui s'annonce au programme. L'ancienne capitale polonaise m'offre elle aussi une jolie vieille ville avec une très grande place centrale où un beffroi, une immense église et une intrigante halle marchande en pierre se partagent la vedette. Ma visite est un peu gâchée par la pluie qui s'invite au tableau. A l'autre bout de la cité sur une grande butte surplombant l'ensemble, on trouve la partie royale, haut lieu historique polonais. Dans la cathédrale, on trouve même au cœur de la nef les reliques de nombreux rois et dans la crypte les tombeaux de plusieurs artistes nationaux ce qui fait donc du lieu à la fois une basilique et un panthéon. 






Le lendemain, le temps est toujours gris, ce qui colle bien avec la thématique de ma journée. Je me rends à une heure trente de Cracovie dans la verte campagne polonaise. Je viens visiter des ruines du siècle dernier, théâtre des plus grandes horreurs commises par l'Homme. Me voilà donc à côté du petit village d'Oswiecim, plus connu sous son nom allemand: Auschwitz. Trois heures de visites pour plonger dans la noirceur de l'âme humaine. Un musée dans les anciens baraquements pour découvrir des amoncellements d'objets confisqués aux victimes. On passe dans une pièce où derrière une vitrine d'une vingtaine de mètres de long se dresse une montagne de restes de cheveux. Deux Tonnes. L'équivalent de 40.000 personnes. La guide assène ainsi des chiffres, des quantités, des volumes qui glacent le sang. Puis de nos yeux nous découvrons les conditions d'accueil. Les personnes qui passaient la porte du camps avaient perdus, aux yeux de leurs bourreaux, toute identité humaine. Du bétail à l’abattoir. Une méthodologie froide, une recherche de la productivité où la pitié était une insulte. On connaît tous cette histoire (plus certainement que celle d'autres génocides tout aussi horrible) mais y mettre des images est assez pénible. On traverse ces immenses lieux abandonnés. La scène est vide mais son silence est assourdissant. A chaque endroit, on imagine l'horreur invisible frapper les fantômes du passé. Puis vient le passage par la chambre à gaz et ses fours crématoires attenants. La seule restante que les nazis n'ont pas eu le temps de détruire avant leur reddition. Cette visite est une épreuve. Celle d’accoler une réalité visuelle à cette abomination historique. Je terminerais la journée autour d'une bière dans un bar animé. La Pologne joue son deuxième match du mondial. Demain, je change de pays.





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samedi 9 juin 2018

Mongolie, entre steppes et désert



Oulan Bator, un nom étrange, un gros point sur la mappemonde. Un point au milieu de la Mongolie, coincé entre les immenses Russie et Chine. Un point au milieu de nulle part, en somme. Un point et un pays surtout qui m'intriguent et qui m'attirent depuis longtemps. Assez pour y faire une escale d'une quinzaine de jours. Oulan Bator est certainement l'antithèse de c'est que la Mongolie. La capitale est le point de convergence pour les mongoles en désir de sédentarisation et d'accès à un mode de vie plus occidental. Avec un million d'habitants, la ville regroupe entre un tiers et la moitié de la population d'un pays qui fait trois fois la taille de la France. L'agglomération s'étend en longueur sur une grosse dizaine de kilomètres. Énormément de voitures, de grands bâtiments au cubisme très soviétique, d'usines aux grandes cheminées en périphérie et de champs de yourtes à l'horizon. Le charbon étant le moyen de chauffage de prédilection, nous trouvons ici tous les ingrédients pour classer la capitale mongole dans le top trois mondial des villes les plus polluées. Une première journée pour s'imprégner des us et coutumes : écriture cyrillique, conduite à droite et état d'entretien aléatoire des rues (ce qui choque en arrivant du Japon mais qui doit rester dans le domaine du normal en arrivant de France).

En soirée, pour faire connaissance, je rejoints les quatre français avec lesquels je vais partager mon tour à travers le pays. Marie-Neige et Pierre de Nice, Fanny une marseillaise originaire de Toulouse et Marion, exilée en Chine. Je serai le doyen de la bande. Nous voyagerons dans un grand van gris largement old school, une sorte de combi volkswagen type XL. De fabrication russe, le véhicule s'avère être parfaitement taillé pour la route/piste/terrain mongole. Le van a l'originalité de posséder deux réservoirs, un de chaque côté. Son chauffeur se prénomme Tsoprat, la soixantaine et des faux airs de moine bouddhiste reconverti ou de Tortue Géniale version mongole. Notre guide francophone, quant à lui, a un prénom à rallonge mais un surnom très court, Jijee. Quatre ans en France dans une école de cirque lui ont conféré une assez bonne maîtrise de notre langue.

Une heure pour nous libérer de la dense circulation d'Oulan Bator et nous voilà enfin lancés dans l'aventure mongole. Les premières heures de route me rappellent la pampa argentine. De grandes landes désertiques parsemées de buissons ou de broussailles et balayées par le vent. Les poteaux en bois qui guident les fils électriques sont les seules hautes émergences au tableau. Pas d'arbre. Si en Argentine la monotonie du panorama n'était que faiblement troublée par la présence animale, ici on croise beaucoup plus de vie, les lieux sont habités. De ci de là, on découvre les premières yourtes et de nombreux troupeaux en totale liberté. Pas de murs, pas de barrières, pas d'enclos. Juste le plus grand pâturage du monde traversé par une longue langue de goudron. Moutons, chèvres, vaches et bien sur chevaux. Jijee fait stopper le véhicule et nous mène jusqu'à un poteau au pied duquel des vaches inexpressives nous toisent. Le point d’intérêt est plus haut, dans un pneu accroché au pylône se trouve un nid duquel trois ou quatre têtes de bébé faucons gris dépassent. Dans les airs, les parents tournoient au dessus de nous et projettent leurs ombres sur le sol. Nous nous arrêtons ensuite observer les vestiges d'un monastère bouddhiste au pieds de collines arides. L'occupation communiste soviétique a nettoyé tous ces éléments du patrimoine culturel du pays. Deux petits temples colorés laissent imaginer à quoi pouvait ressembler l'ensemble. En fin de journée, nous montons le camp autour d'un petit lac posé à côté de mini dunes de sable. Une fois tous le matos estampillé quechua installé, nous profitons de la faune locale à moitié sauvage : chevaux, moutons, chèvres et... chameaux. Première étrange surprise. En journée, le mercure tutoie les 30°C mais en fin d’après-midi, la température baisse rapidement. Cela n’altère en rien le spectacle qui nous est offert. Coucher de soleil flamboyant derrière les dunes puis reflet d'une belle pleine lune dans le lac du côté opposé. Bienvenue en Mongolie.








Le lendemain nous prenons la route de Karakorum, l'ancienne capitale de l'empire mongole de Gengis Khan. Dans le musée archéologique, Jijee nous présente fièrement l'histoire de son pays. Une succession de conquêtes qui ont étendu les frontières aux confins de presque toute l'Asie et jusqu'aux portes de l'Europe. Il ne reste malheureusement rien de cette ville bâtie au XIIIéme siècle. Nous faisons un tour au monastère voisin, plus récent. Enfin, un tour de ce que les soviétiques ont épargné. L'occasion d'assister à une séance de prières de moines tibétains. Assis autour de pupitres, ils récitent inlassablement leurs textes sacrés. On fait discrètement le tour de la pièce où les bonzes, imperturbables, émettent leur bourdonnement.








A partir de là, la route disparaît, nous suivons les traces d'une piste qui traverse quelquefois de petits cours d'eau ou se perd entre les cailloux. Une longue et cahoteuse virée qui nous permet de découvrir d'intrépides marmottes détalant rapidement à la vue de notre bolide gris. Nous nous arrêtons même pour essayer de retrouver les traces d'un renard que nous avons vu s'enfuir derrière les rochers d'une colline. Ce soir nous ne montons pas de tente, nous dormons sous le toit d'une yourte, chez les nomades. Le peuple mongole est un peuple nomade qui accompagne son bétail au gré de l'état des pâturages. Un mode de vie directement en lien avec la nature et qui met à mal la notion de propriété et de territoire. La yourte se prête bien à ce besoin de mobilité. De forme arrondie, la structure se compose d'arceaux en bois entrelacés, une fine couche de couverture de laine de moutons isole hermétiquement l'habitation. Comme un chapiteau, le toit est posé sur une multitude de bâtons disposés en rayon. Le sommet fait office de puits de jour et permet de laisser sortir la cheminée du poêle central. Les lits et le mobilier très coloré (orange, rose, jaune, vert...) sont disposés en cercle autour de ce foyer. Une batterie de voiture offre une réseau électrique sommaire. Un petit coin du logis est réservé à l'édification d'un petit autel bouddhiste. Nous sommes accueillis par la traditionnelle tasse de thé salé au lait chaud de yack. Les deux petits enfants de la famille sont tout heureux de voir débarquer un peu d'animation. Il est vrai qu'isolés dans leur yourte, perdue dans l'immensité mongole, leurs journées se ressemblent à pédaler sur un petit vélo rose à roulette pour la fille ou pousser une petite voiture à pédale pour le garçon. L'eau se puise dans le petit cours d'eau voisin et les toilettes sont là où on le souhaite. Une vie au plus prés de la nature. Au petit matin, Jijee nous emmène saluer les autres familles installées à proximité. Chaque groupe de yourtes est distant de deux ou trois kilomètres mais bien visible les uns des autres sur cet immense terrain plat et dégagé. Cette virée matinale se transforme en marathon culinaire puisqu'à chaque fois l'hospitalité mongole nous pousse à l'intérieur des yourtes pour boire du thé au lait et manger des beignets de viandes ou autres gâteaux.




Nous sommes dans la vallée d'Orkhon, une petite randonnée pédestre nous permettra de remonter le cours d'une petite rivière encaissée dans un canyon. Le sol manque cruellement d'eau. Nous marchons sur une herbe séchée vert pâle qui craque sous nos pas. Celle-ci devrait être d'un vert éclatant selon Jijee. Par endroit le cours d'eau est asséché et on devine le lit fantôme de la rivière à la couleur blanche des rochers. Notre ballade se termine au pieds d'une toute petite chute d'eau où nous surprenons un troupeau de yacks descendu pour s'hydrater. Nous pique-niquerons dans les vestiges d'un camp de vacances construit par les soviétiques et à présent abandonné. Nos seuls voisins seront un trio de chiens attirés par notre repas. De retour au camp de yourtes, alors que mes compagnons partent faire un tour de cheval, je joue à des jeux simples avec les enfants. Je leur fais une démonstration avec le handspinner que l'on m'a donné lors de mon match de baseball à Oakland. Je ne pensais pas qu'il aurait une telle utilité. L'excursion à cheval terminé nous partons tous, tels des parisiens au salon de l'agriculture, à la traite des yacks sous le regard gentiment moqueur de la mère de famille. Le repas du soir sera un barbecue mongole. De la viande de mouton versée dans un cocotte minute remplie d'eau salée dans laquelle on insère des pierre chauffées au poêle. Cuisson vapeur, sans graisse. Petit rituel à table : on boit à tour de rôle un fond de verre de vodka (au blé) cul sec. Le chef de famille distribue ensuite à chacun un morceau de viande extrait de l'omoplate. On rogne ensuite les os de moutons dans la pénombre de la yourte. Il y a un un gros côté homme des cavernes dans le procédé. Fin de repas précipité, un loup aurait été aperçu prés des troupeaux. Dans l'obscurité, nous observons de loin la traque du prédateur via les lumières des phares ratissant la plaine, sans succès. 









Le lendemain, grosse journée de route pour rejoindre une nouvelle famille. Nous faisons le plein et le ravitaillement à un petit village. Pas de bitume, les maisons aux toits colorés sont protégées derrières de hautes palissades en bois. Le vent soulève le sable des chemins terreux et cabossés qui quadrillent la ville. Les mongoles y déroulent leurs dures vies quotidiennes en bottes et épais manteaux. La route s'élève et fatigue notre van surchargé. Nous devons fréquemment nous arrêter pour faire baisser la température. Nous croisons régulièrement des troupeaux de yacks, chevaux, chèvres et moutons mais également beaucoup de cadavres en état de décomposition plus ou moins avancé. La rigueur du climat ne fait pas de cadeau. Le vent souffle très fort, ce qui nous empêche de nous installer confortablement pour préparer le repas du midi. Jijee demande donc l’hospitalité à une famille nomade sur le chemin. Et en moins de deux, nous voilà assis en ronde dans la yourte avec un verre de thé au lait de yacks en main pendant que nos pâtes cuisent à côté. Le sens de l'accueil n'est pas un vain mot chez les nomades. Après trois nouvelles et longues heures de routes, nous atteignons les yourtes de nos hôtes du soir. Le vent n'a pas faibli, dans la fraîcheur de la fin de journée, bien emmitouflés et coiffés de bonnets nous participons à l'édification d'une yourte. Pas une vis et pas un clou, tout à la ficelle. Le père de famille nous guide dans le déploiement et l’emboîtement des différentes pièces qui constituent l'ossature extérieure. Vient ensuite la confection du toit avec l'imbrication des différents bâtons qui, disposés en rayon, relient le mas central à l'ossature. Une fois le squelette terminé, nous nous engouffrons dans la yourte principale pour nous réchauffer autour du poêle alimenté à la bouse et boire de la bière. Alors que dehors le vent redouble, nos hôtes nous font partager de jolis chants mongols. Instants magiques. Le visage est empourpré par la rudesse du climat et l'ampleur de la tâche quotidienne mais le sourire des joies simples demeure, comme des marins heureux de trouver refuge dans un troquet après de longues journées passée au large. Froid aux mains mais chaud au cœur.









La nuit s'annonce fraîche dans la yourte. Le vent vrombit et fait claquer la bâche extérieure. Bien qu'à l'abri, nous pouvons bien sentir les éléments qui se déchaînent dehors. Le vent va encore monter en puissance durant la nuit et faire danser la structure en bois de la yourte. Des bâtons se décrochent même de l'armature et heurtent le sol. Dehors, au petit matin, dans des bourrasques impressionnantes, on découvre un sol recouvert d'une pellicule de neige. Notre début d'assemblage de yourte de la veille est à terre, tel un gros jeu de mikado. Nous sommes contraints de changer nos plans du jour et de nous rapatrier dans la maison d'hiver de la famille au village voisin, à deux heures de route. Le père de famille va rester seul au campement, pour faire la maintenance mais surtout pour récupérer son bétail sûrement éparpillé de froid et de peur. Un cheptel qui affichera immanquablement, hélas, des pertes. Sur la route, nous croisons de nombreuses autres familles dans la même situation. Certaines yourtes sont mêmes éventrées, laissant apparaître la structure en bois sous une couche de laine déchirée, un peu à l'image des cadavres d’animaux sur la route où les squelettes sont bien visibles sous une une peau devenue inutile. La maison de la famille est une petite battisse sans prétention avec l’électricité mais sans eau courante. Nous camperons dans le salon. Après un tour aux douches publiques du village nous passerons la soirée dans le bar d'un petit hôtel à touriste autour d'une bouteille de vodka pour nous remettre de nos émotions. 






Nous quittons le village de nos hôtes qui, quant à eux, retournent dans leur campement dans la vallée. Aujourd'hui nous prenons la route, ou plutôt la piste du désert de Gobi. Dernier ravitaillement à la capitale de la province puis au fur et à mesure que nous abattons les kilomètres les steppes jaunâtres disparaissent définitivement du paysage. Après avoir visité à nouveau les ruines d'un monastère nous posons nos tentes à la lisière d'une rivière asséchée, face à un camp touristique de yourtes. L'occasion en toute roublardise de leur siphonner de l'eau et profiter de leurs toilettes. Le lendemain, notre van reprend la route en toute modestie telle une minuscule puce de métal qui file sur le fin sillon de sable qui raye ce désert de gravier et de mousse. On aperçoit au loin la ligne électrique qui elle aussi file droit. De temps à autres, des groupes de chameaux sauvages regardent passer notre van et son nuage de poussière. Le ciel d'un bleu clair profond à peine teintée de quelques nuages enveloppe de son immensité cet océan aride et efface toute éventuelle trace d'ombre. Nous sommes entrés en plein cœur du désert de Gobi.






Ce soir pas de tente, nous aurons droit nous aussi à notre camp de yourtes. Et nous en aurons même l'exclusivité puisque notre van sera le seul sur le parking. En fin de journée, après avoir dîné, nous partons voir l'attraction touristique voisine, un gros plateau rocheux rouge taillée par l'érosion, un mini Monument Valley. La virée sera courte, une tempête de sable s'apprête à dévorer le gigantesque caillou. La densité du sable en mouvement transforme le ciel en grosse masse grise, ce qui fait ressortir le rouge éclatant de la pierre. On se croirait témoin d'une éruption volcanique ou face à l'approche d'une tornade. Nous partons nous réfugier dans la salle commune du camp de yourtes où j’apprends toutes les subtilités de la belote mongole.



Après avoir laissé les rochers rouges à leur solitude nous poursuivons notre incursion dans la désolation des paysages de Gobi. La dureté de la route met à mal les suspensions de notre van et nous secoue constamment. Ainsi prisonniers de la route, le regard perdu dans l'immensité de notre horizon notre esprit s'évade. Les pensées vont et viennent dans une tête vidée de tout tracas quotidien. Les bienfaits du voyage. Notre bruyante chevauchée fait détaler de temps à autres quelques gazelles qui nous ont certainement classés dans la catégorie des prédateurs. Nous arrivons finalement à une impressionnante bande de dunes de sable au pied de laquelle un troupeau de chèvres broute une fine pellicule d'herbe irriguée par un mince filet d'eau perdue dans cet environnement inamical. Scène improbable en plein désert. Les chèvres restent imperturbables alors que nous escaladons les grosses bosses de sables voisines. En haut de ces géants fragiles nous profitons d'un panorama incroyable sur les alentours. Nous logerons à proximité chez une famille de chameliers. Nous aurons droit en guise d'activité de fin de journée à une ballade à dos de chameaux. Nous sommes assez bien installés dans le creux de leurs bosses. C'est finalement un animal assez curieux. Le pelage semblable à son cousin le lama, des têtes et des crinières assez comiques, un regard de bovin des plus inexpressif et des petits cris tout droit sortis de la bouche de Chewbaca. Nous parcourons à allure modéré, sur nos nonchalante montures, une petite boucle dans un cadre somptueux. D'un côté on observe le soleil tomber à l'horizon et projeter nos longues ombres sur le sol alors que de l'autre côté les longues dunes se teintent de rose à mesure que la luminosité décline. 





 
Le lendemain le théâtre de nos aventures sera un petit canyon dans lequel nous nous engouffrons avec notre van tout terrain. Nous remontons ainsi le lit d'une rivière qui coule paisiblement entre la roche. Nous sommes au mois de juin mais on trouve de nombreux blocs de glace dans les parties continuellement ombragées. L'hiver, toute la rivière se fige de froid et devient prisonnière de cette faille rocheuse. Nous profitons d'un coin de verdure pour piquer niquer les pieds au bord de l'eau au cœur de ce petit canyon sous le regard de vaches, elles aussi en train de déjeuner. Plus loin, on abandonne le van pour s'aventurer, à pieds, encore plus profondément dans la brèche, là où les glaces sont éternelles. Je manque à maintes reprises de m'étaler sur ce sol gelé et glissant. Nous passerons encore une nuit sous une yourte dans une famille d'accueil. Nous ne sommes plus dans la famille nomade qui fait de l'hébergement de touristes comme revenu d'appoint. Ici, c'est l'activité principale. On est dans un secteur assez fréquenté et on voit ainsi l'impact du tourisme sur l'économie et la vie locale. Mais il reste encore de la marge avant la dénaturation du pays.








Cela fait quatre jours que nous arpentons le désert de Gobi et pourtant celui-ci a toujours de nouvelles curiosités géologiques à offrir. Aujourd'hui nous partons en direction de la stuppa blanche. Un haut plateau qui s'érode en cheminée de fée (comme j'ai pu l'observer en Anatolie ou du côté de Bryce Canyon). Au sommet de notre promontoire, on domine ce spectacle lunaire composé de vallons blanchâtres tachetés de rose et de rouge. Un point de vue impressionnant qui n'a rien à envier à ceux de l'Ouest Américain. Nous sommes en rade d'eau pour la cuisine et la vaisselle suite à un oubli de recharge au dernier village traversé. Nous quittons donc la route goudronnée en quête d'un point d'eau. Nous trouvons un puits à proximité duquel une vingtaine de chameaux patientent impassiblement. Alors que nous nous approchons de cette source providentielle, nous nous faisons calmement encercler par ces grosses peluches à bosses du désert. Ils s'attendent sûrement qu'on leur donne à boire. Scène une nouvelle fois surréaliste. Nous posons notre camp plus loin. Le même rituel se met en place. Tsoprat s’attelle à l'entretien de notre monture de métal pendant que Jijee s'active derrière le réchaud, quant à mes compagnons de voyages et moi même, nous profitons d'un peu de bière tiède tout en nous exerçant à la belote mongole. Nos tentes paraissent minuscules dans cette plaine désertique qui semble infinie. Seuls au monde. L'immense ciel étoilé qui nous écrase peut en témoigner. Le camping tel qu'il devrait toujours l'être. Tente avec vue sur toutes les beautés du monde.






Grosse journée de route pour s'extraire de l'aridité de Gobi et nous rapprocher de la capitale mongole qui marquera la fin de cette escapade hors norme. Nous ferrons un petit détour pour observer les ruines d'un temple caché dans d'étranges excroissances rocheuses. Pour le camp du soir, nous retrouvons un semblant de steppe et de verdure. Encore une fois nous sommes au milieu de nulle part mais nous avons de la compagnie, nous sommes en effet installés sur un réseau de galerie de souris. Nous les voyons timidement sortir la tête de leurs trous et y replonger aussitôt, perturbées par toute cette agitation provenant de ces montagnes synthétiques qui se sont soudainement dressées sur leur terrain de jeu. Nous aurons également la visite d'une centaine de chevaux qui, guidés par leur propriétaire à moto, traversent majestueusement la steppe. Je chéris ces instants déjà empli de nostalgie. C'est notre dernière nuit au cœur de ce pays si sauvage.




Le lendemain nous arrivons en effet rapidement aux portes d'Oulan Bator que nous retrouvons tel que nous l'avions laissée : bruyante et encombrée. C'est aussi la promesse d'une douche, chose que nous ne connaissons plus depuis cinq jours. Nous déposons nos affaires à notre hôtel puis après un dernier repas nous faisons nos adieux à Tsoprat. Un conducteur hors pair, toujours prévenant et souriant, avec qui la communication aura été simple malgré la barrière de la langue. Jijee nous conduit ensuite dans différentes boutiques pour que mes compagnons de voyage puissent faire le plein de souvenir. Je me limiterai à un simple osselet qui m'aidera à me remémorer ces belles journées à découvrir un pays très sauvage, riche en paysage et valeurs humaines. Un pays brut, rude mais tout simplement beau. Jijee nous abandonne à son tour en fin de journée. Après un spectacle traditionnel, nous nous accordons un repas occidental pour faire un break dans ce régime mongol très viandard. Au petit déjeuner je salue Marion "la chinoise", "Tsas" (Neige en mongol) et "Chuluu" (Pierre en mongol) tels que Jijee les avaient rebaptisés. Fanny, quant à elle est partie aux aurores. Me voilà donc à nouveau seul. Une fin d'aventure qui va marquer le début d'une autre. La dernière de ce voyage avec un retour en Europe. Mais avant cela je vais marquer un petit moment de respiration à Oulan Bator qui est maintenant autre chose qu'un simple point sur une carte. Une fois encore je vais laisser un pays avec l'envie d'y revenir.



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