jeudi 22 mars 2018

Les pieds dans le sable


Aéroport de Bangkok, 11h, je descends de mon court vol en provenance de Siem Reap. Je m'engage dans la très cosmopolite et très longue file qui se forme devant les guichets de l'immigration. Il y a embouteillage dans cet entonnoir qui sert d'entrée à tout ce secteur d'Asie. Après trois quart d'heure d'attente je peux rejoindre mon pote Guillaume qui m'attend à la sortie, fraîchement débarqué de France. Il va m'accompagner pour cette quinzaine de jours dans le sud de la Thaïlande. Bangkok est immense. Rapidement les souvenirs de mon séjour ici il y a cinq ans refont surface. Et même de façon intrigante. Quand le taxi nous dépose devant notre hôtel, je reconnais les environs. Plus de doute, je vais loger dans la même rue que cinq ans auparavant. Curieuse coïncidence. L'environnement est toujours aussi glauque. Bars remplis d'occidentaux, masculins essentiellement, la cinquantaine en majorité, une pinte de bière en face d'eux et de jeunes thaïlandaises à leur côté. La même ambiance dérangeante. Notre séjour dans la capitale va se limiter à une journée. Le temps d'aller saluer le célèbre bouddha couché du Wat Pho et de faire une petite excursion en pirogue à moteur dans les canaux irriguant la ville. L'occasion de surprendre quelques clichés de vie quotidienne en navigant entre les habitations de fortunes posées sur l'eau. L'occasion aussi de faire la connaissance d'autres habitants, marins ceux là : les varans. Des gros lézards de deux à trois mètres, a priori inoffensifs pour l'homme, qui barbotent dans l'eau. En fin de journée, à pieds, nos passerons de manière assez déconcertante de zones touristiques remplies de bars, de salons de massages, de vendeurs ambulants et de chauffeurs de tuktuk à des secteurs résidentiels plus confidentiels. En frange du brouhaha touristique, on emprunte de minces ruelles et on se faufile dans ce Bangkok caché. Dans un univers nettement plus modeste, les gens subissent la journée, affalés sur une chaise, à l'ombre d'une bâche, collés à un ventilateur. Ils attendent on ne sait trop quoi. Peut être juste que le temps passe... Sur les axes routiers en revanche c'est l'effervescence. Cette folie urbaine ne m'avait pas manquée.

















De Bangkok nous traçons directement au sud, vers les plages et le soleil. Après un trajet de six heures en bus avec les locaux, nous arrivons dans la ville sans charme de Chumpon. De là, le lendemain, nous rejoignons Ko Tao, la première des îles de notre programme. Sur la façade est, trois îles sont en haut de la liste. Ko Samui (pour la fête), Ko PhaNgan et Ko Tao donc, la plus petite des trois et sur laquelle s'est porté notre choix. Il y a du monde dans le speed boat qui dessert l'île depuis le continent deux fois par jour. Nous débarquons, nous esquivons l'armée de rabatteurs et cheminons vers le nord de cette île qui doit faire cinq kilomètres de long sur un de large. Il y a pas mal d'animation et de touristes mais cela reste tout à fait supportable. Depuis sept mois, mon périple navigue entre tourisme et voyage, là il va rimer quelques temps avec vacances. Une fois les sacs posés et après avoir goûté l'eau chaude du Golfe de Thaïlande, il est temps de rêvasser et d'observer le soleil se coucher dans cet horizon marin, à la terrasse d'un bar, armés de mojitos. Ko Tao a du relief et la petite ballade du lendemain autour de l'île va se transformer en expédition. Mais la persévérance nous offrira une plage plus confidentielle où l'on peut se délasser au milieu de jolis poissons bariolés. Sur le retour, après avoir vaincu de fortes pentes nous profiterons d'un joli point de vue en hauteur sur cette petite enclave de verdure perdue au large des côtes thaïlandaises.





De retour sur le continent, il nous faut deux heures pour rejoindre l'autre côte du pays en minibus. Nous prenons ensuite place dans le dernier bateau à destination de Ko Phayam. Embarcation à taille humaine, une quinzaine de passagers seulement dont la moitié descendra à Ko Chang, première île sur la route. En arrivant à Ko Phayam on est bien loin de la frénésie de Ko Tao. Les deux îles doivent être assez proche en taille, mais ne présentent pas du tout le même développement. Nous débarquons sous un soleil déclinant et dans le plus grand calme. L'île est très verte et feuillue. Pas de voitures. On se déplace en scooter sur la petite route qui relie l’embarcadère aux différentes plages. Nous optons pour celle du nord. Après une assez longue marche lestés de nos sacs, nous prenons le premier hébergement disponible, un bungalow sommaire à quelques mètres de la plage. Un coin de paradis en mode Robinson Crusoé. Pas de wifi, une électricité qui va et qui vient. Après une nuit calme bercée par le roulement des vagues voisines nous décidons de monter légèrement en gamme et optons pour le complexe de bungalows voisin pour la suite du séjour. Tous ces logements desservent une longue plage où une poignée de chanceux profitent d'une baignade en toute tranquillité dans une eau matinale déjà bien chaude. Les plus paresseux roupillent à l'ombre des arbres sur des transats ou sont affalés dans le sable. On reste quand même à l'abri du soleil qui crame les épidermes. Finalement les plus nombreux sur cette plage ce sont les mini crabes blancs qui glissent à vive allure sur le sable et se réfugient dans des petits trous pour fuir la violence des tongs qui claque sur le sol. En bordure de ce décor de rêve on peut s’asseoir dans l'un des petits bars en bois et profiter d'un rafraîchissement, les pieds dans le sable, en accompagnant la descente du soleil. Un bar se détache des autres, le Hippie Bar. Un amas de planches en forme de coque de bateau qui invite à venir explorer le fond de sa cale tel un pirate en quête de rhum. Plus loin, sur la partie plus escarpée on retrouve une forêt tropicale assez dense et sauvage. En m'aventurant en bordure de celle-ci j'ai croisé une paire de toucans et une sorte de gros reptile qui venait juste de manquer de se faire écraser par un scooter. Ko Phayam m'a beaucoup plu. Son côté brut et paisible. La relative quiétude dans laquelle baignent aussi bien les touristes que les locaux. Une vrai parenthèse temporelle.








Nous descendons ensuite plus au sud, sur Phuket, la plus grande des îles thaïlandaises. Nous resterons sur la vieille ville loin de Patong et ses lieux de débauches. Nous rejoignons mon pote Greg que le travail a conduit ici (tournage d'un documentaire de voyage pour Arte). Nous dînerons avec une de ses collègues et leur guide pour la journée, un toulousain expatrié. Ce dernier nous ferra découvrir un très bon restaurant gastronomique, l’Éléphant Bleu, somptueusement installé dans l'ancienne demeure du gouverneur. Un moyen de fuir nos classiques pad thaï et riz fris. Hormis cette découverte culinaire, le cœur de Phuket n'offre pas grand chose pour satisfaire notre appétit culturel. On retrouve bien une architecture de style colonial inspirée d'une influence sino-portugaise, mais rien de transcendant. La petite agitation du marché de rue nocturne offrira toutefois une belle dernière touche. Les gens se pressent autour des multiples et variés stands de nourriture. Quelques animations musicales égaient notre traversée de la rue.





Nous retrouverons la beauté des plages thaïlandaises du côté de la province de Krabi. Une journée à musarder au bord de la plage d'Ao Nang et de sa voisine à Noppharat Thara, moins achalandée mais plus paisible. Une journée entre baignade, sieste et rafraîchissement à laisser le temps filer. Le lendemain retour à l'action. Nous privatisons une barque à moteur et partons en expédition vers les îles aux large. Ko Poda nous offre sable blanc et eau turquoise. La Thaïlande des cartes postales. Fin de journée sur Railay Beach. Beaucoup de monde qui grouille autour des immenses rochers karstiques plantés dans l'eau. Nous poserons nos serviettes en bout de plage prés de la grotte sacrée Princess Cave. Particularité des lieux : les locaux viennent y déposer des phallus en bois en guise d'offrande afin d'invoquer l'esprit de la grotte et faire des vœux de fertilité. Entre deux bains, nous observons la foule de touristes, en slip de bain, venir prendre des poses suggestives devant les sculptures évocatrices. Dans ce défilé de grotesque, j'observe une trio de thaïlandaises venues se recueillir. Aussi étrange qu'elle puisse paraître, une croyance reste une croyance et je trouve dommage que certains touristes n'arrivent pas à faire montre de respect.









Dans ce coin du pays, l'Islam se mêle au Bouddhisme. De l’extérieur, les deux religions semblent correctement cohabiter. En ville on retrouve à la fois des temples et des mosquées. Dans le Tuktuk qui me conduit vers la gare de bus, je fais face à deux mères de familles thaïlandaises. Elles ont des traits physiques assez similaires. Cependant, une porte un hijab et l'autre fait des gestes d'inclinaison à chaque fois que notre véhicule passe devant un temple. Une divergence religieuse qui ne semble pas altérer leur quotidien. A la gare routière je prends place dans un bus local à destination de Trang, dans les terres. J'ai abandonné Guillaume ce matin qui prenait le chemin du retour vers la métropole. Quant à moi, je vais m'accorder une journée off pour faire de la logistique, loin de l'agitation des plages. Un jour de vacance dans les vacances.

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jeudi 8 mars 2018

Du Mékong à Angkor Vat


Après quasiment trois semaines, voici venu le temps de quitter le Vietnam. Le Laos m'attend derrière une frontière un peu escarpée. Trois cent kilomètres et la promesse d'un ciel sans cette brume assez désolante qui m'accompagne depuis mon atterrissage à Hanoï. Retour vers les 30°C. Mais d'abord il faut compter une grosse journée de bus pour rallier Savannakhet à l'autre bout du pays, sur les bords du Mékong, à la frontière avec la Thaïlande. Après un pick up en bus à mon hôtel, je suis déposé avec les autres touristes à la gare routière. Nous embarquons dans le bus avec les locaux. C'est la grande manœuvre. Nos sacs rejoignent le fond du bus à coté des cartons et autres grandes poches. Les dernières rangées sont ici monopolisées. J'imagine que les soutes sont pleines. A 9h nous partons, à l'heure je pense. Mon voisin de bus est français, Greg. Nous engageons rapidement une discussion captivante où nous échangerons autour de nos voyages et anecdotes. L'occasion de parler d'Iran, d'Ethopie, du Vietnam, du Cambodge, des USA, de la différence culturelle, de l'engagement associatif, d'éducation populaire... Bref le temps d'occuper allégrement les trois heures trente qui nous mènent à le frontière.

Après un petit tâtonnement, nous passons assez facilement les guichets de sortie du Vietnam et d'entrée au Laos. Nous sommes juste allégé de 35$, le tarif en vigueur. Nos sacs sont restés dans le bus. Apparemment la douane est une option. Vu le bordel que ça a été pour charger le bus je n'ose imaginer le temps qu'on perdrait si on devait tout sortir. En attendant que les autres voyageurs finissent leurs formalités nous cassons la croûte dans un petit boui-boui. Mon premier repas laotien. De retour dans le bus je constate que nous avons été rejoint par d'autres passagers. Le bus est maintenant archi comble. On crée une cinquième rangée de siège en posant des tabourets dans l'allée centrale. Les perdants au jeu des chaises musicales finissent debout à l'avant du bus. Et 'est reparti dans la bonne humeur générale.


Nous arrivons à Savannakhet en fin de journée. Troisième ville du pays, il s'agit d'un croisement entre la Thaïlande, le Vietnam, le nord et le sud du pays. Pas grande activité touristique aux alentours. Du coup peu de touristes. L'occasion de s'imprégner tranquillement de l'ambiance de ce nouveau pays. Avec Greg nous finirons cette journée au bord du Mékong, dans la moiteur du soir et en compagnie de moustiques. Au menu un mix barbecue/pot au feu avec les locaux dans un restaurant (en mode chaises de jardin) de plein air improvisé. Le lendemain un rapide parcours de la ville, de son temple et de son église nous confirme le côté banal de notre ville-étape. Je laisse Greg à ses préparatifs pour le nord. Pour moi c'est cap au sud à Paksé.





Dans le tuktuk qui me mène de ma guesthouse jusqu'à la gare routière je fais la connaissance d'un couple de jeunes retraités français. Ils sont assez marrants dans leur côté méfiants par rapport à tout. Le bus est du même acabit que celui qui m'a conduit ici depuis Hué. La distance n'est pas longue mais comme le bus s'arrête très souvent pour charger d'autres passagers le parcours semble interminable. Rapidement, suite à l'affluence, on installe de nouveau des tabourets en plastique dans l'allée centrale. Pas franchement à l'aise, les retraités français profitent d'un arrêt pour abandonner le bus. Ils me disent que l'essieu du bus est endommagée. Il est vrai qu'un drôle de bruit accompagne notre parcours. Le chauffeur jette un œil à la roue incriminée. Il 'a pas l'air plus inquiet que ça. Je suis mon instinct et reste dans le bus. Faire confiance.

Une heure plus tard me voilà à Paksé qui doit être aussi grande que Savannakhet. Aussi ordinaire également je pense. Je n'ai pas vraiment eu envie de vérifier par moi-même. Beaucoup de touristes. C'est le camp de base pour explorer le plateau des Bolovens. Normalement cela se fait en scooter/moto sur deux à cinq jours. N'ayant que peu de temps devant moi, je me rabats sur un tour en mini-van à la journée. En le réservant je sais déjà que ça ne va pas me plaire mais il me fallait quand même une impression de cette partie du pays. Sans surprise, le van nous conduit rapidement d'une chute d'eau à une autre en passant par une minuscule plantation de café et un pseudo village de tisserand. Finalement le moment sympathique de la journée sera la demi heure passée dans le village traditionnel. Je m'attendais également à un endroit aseptisé par les vagues quotidiennes de touristes. Il n'en est rien. L'expérience est très plaisante. Aujourd’hui en plus c'est jour de fête. Les anciens sont posés sous une tonnelle en plastique. Ils boivent un breuvage fermentée artisanal. On me tend un godet en bois pour goûter. On dirait une sorte de bière tiédasse. Ni fameux ni désagréable. Ils s'alcoolisent gentiment tout en jouant du khene, une sorte d'orgue à bouche en bambou. Instrument plus que traditionnel et exclusif au Laos et au nord-est de la Thaïlande. Mais le plus marquant n'est pas là mais à une centaine de mètre plus loin. Sur la terre battue de la grande place arrondie du village gît un robuste bœuf gris. Sur le flanc. Éventré. Mort. Quelques pas plus loin, sur une bâche déployée au sol, une poignée d'hommes s'affaire à dépecer la viande extraite de l'animal. Une de mes collègues de la journée pousse un petit cri d'effroi et de surprise. Un villageois est en train de vider la matière fécale des boyaux, le plus naturellement du monde. Moi qui craignais le côté musée de la visite me voilà bien servie en terme d'authenticité. Le village est pauvre. Les logements sont rudimentaires, mélanges de planche de bois et de bambous tressés. Les maisons comme partout dans cette partie d'Asie (Vietnam, Laos, Cambodge, Thaïlande...) sont bâties sur pilotis ce qui libère sous l'habitation un espace de vie aéré et ombragé. On y retrouve une table et des hamacs où sont affalés les laotiens autour d'amas de détritus plastiques qui jonchent le sol et sous la poussière soulevée par les enfants qui courent entre les logis.




Il est déjà temps de poursuivre plus au sud. Je fais un crochet par Champasak pour visiter le Wat Phu. Pour atteindre le village il faut passer le Mékong. Pas de pont, il faut emprunter un bac à un embarcadère de fortune. Une petite palette de bois posée sur deux vieilles pirogues. Un moteur greffé à l'arrière . Voilà mon ferry. Je le vois arriver lentement, de l'autre rive, chargé de poulets vivants. Les laotiens délestent le rafiot de sa cargaison. Ils empoignent les volatiles attachés les uns autres par les pattes puis les accrochent à un scooter. Sur les rétro, les poignées, autour des sièges... Je monte sur l'embarcation vidée et observe cet étrange cyclomoteur à plumes s'éloigner. Fascinant pays. Champasak n'est pas vraiment un village, il s'agit plus d'un gros ensemble de maisons et de guesthouses alignées le long du chemin qui suit le cours du Mékong. Il y a une dizaine de kilomètres de là au temple. Motivé, j'ai opté pour le vélo. Ce n'était pas une riche idée. Le vélo étant une vieille bicyclette au siège non réglable. Je me suis traîné sur ma monture rouillée dans un grincement permanent et sous un soleil de plomb implacable. Le bucolique a laissé place au calvaire. Le Wat Phu est un sympathique temple khmer juché à flanc de colline sous des arbres bien feuillus. Après avoir gravi une bonne flopée de marches on profite d'un joli point de vue sur le lit du Mékong et les plaines alentours, les narines légèrement taquinées par l'odeur d'encens s'échappant du lieu de culte.






Encore plus au sud se trouve un des hauts lieux touristiques du pays : les quatre milles îles. Ici le Mékong s'élargit, de nombreux îlots broussailleux flottent à sa surface. Parmi cet archipel végétal, deux oasis émergés (et reliés l'un à l'autre par un pont) offrent un havre de détente aux voyageurs : Don Det et Don Khon. Trois kilomètres de long chacun sur cinq cent mètres de large. Comme autour du lac Atitlan au Guatemala, je retrouve une odeur de paradis perdu et une légère ambiance hippie. Autour de l’embarcadère, on trouve la partie vraiment festive des lieux mais dés qu'on descend plus à l'ouest on découvre des guesthouses plus paisibles où il doit faire bon s'abandonner. J'explore les environs à vélo et je constate que beaucoup d'occidentaux se sont d'ailleurs sédentarisés. Sûrement un peu trop d'ailleurs, les panneaux « we have Nutella » et « Pastis & Pétanque » dénaturent le cadre à mon goût. En regardant les anciens posés à l'ombre des arbres je m'interroge sur leur état d'esprit. Ils ont vu leur île changer. Ils ont vécu et vivent encore cette invasion de colons à la cool. Leur mine à l'air dubitative. Indignés ? Résignés ? Indifférents ? Je ne saurai dire. Il fait quand même bon se reposer dans un des nombreux bungalows, allongé dans un hamac à regarder tranquillement le Mékong couler en contrebas, un jus de fruit en main.







Et il est malheureusement déjà temps de passer du Laos au Cambodge. Je suis attendu à Bangkok dans quatre jours ce qui précipitent un peu mon parcours dans ce coin d'Indochine. La frontière entre le Laos et le Cambodge est une des plus corrompues d'Asie. Forcément j'appréhende un peu. En plus de cela, les bus à touristes vers le Cambodge sont hors de prix. Je veux bien être un touriste et surpayer certaines prestations, mais il y a une limite à tout. En faisant des recherches sur internet, je découvre une compagnie cambodgienne qui pour un prix cohérent peut me conduire jusqu'à Siem Reap, ma prochaine destination. En revanche il n'opère que depuis la frontière. Il faut donc juste que je me débrouille pour parcourir la trentaine de bornes qui m'en sépare. Facile je me suis dit. A 8h, mon hôte touche à tout (hôtel, restaurant, location de vélo, laverie, change de monnaie, tour opérateur...) me conduit en barque à terre. De là je pensais prendre un bus local jusqu'à la frontière. Au guichet on me dit que ce n'est pas possible. Je comprends vite le manège. Tout le monde est de mèche. Le but est de nous forcer à prendre les bus à touristes surtaxés. Ils savent qu'il y a une compagnie cambodgienne qui proposent de bons tarifs à la frontière. Leur but est donc de nous empêcher de nous rendre à cette frontière par nos propres moyens. Impossible de prendre un tuktuk jusque là, au mieux ils peuvent nous conduire au croisement de la grande route à trois kilomètres. On voit que la corruption locale est bien organisée et je pense qu'ils savent que nous savons qu'ils savent... Bref, je repère vite un couple allemand et un californien dans le même cas que moi. Nous unissons nos forces et finalement nous optons pour la seule option proposée : le tuktuk jusqu'au croisement. Là bas nous sommes déposés devant deux flics en faction. Sûrement en train de contrôler qu'aucun local ne s'aventure à conduire des touristes au delà.

Encore plus de vingt bornes à faire. Le spectre de mes autres passages de frontières galères me vient en tête (Argentine>Uruguay et Argentine>Chili). Nous commençons à nous mettre en marche en tentant l'autostop. Sans grand succès. Nous essayons de négocier avec les propriétaires de voitures/pickup/vans rencontrés sur le chemin. Échec également. Les consignes semblent effectivement très claires et respectées. Nous sommes six à présents, deux jeunes françaises nous ont rejoints. Il est 9h30, le soleil commence à frapper fort. Dans quelle galère je me suis encore fourré? Et puis finalement un petit camion s'arrête. Nous négocions et nous sommes pris en charge. Soulagés nous posons nos sacs parmi de grandes caisses en plastiques et en polystyrènes puis nous prenons place à l'arrière du bahut. Grand soulagement collectif. J'apprécie l'air frais qui vient frapper mon visage et c'est avec plaisir que je vois ces derniers kilomètres de paysage laotien défiler devant moi. A un kilomètre du but nous sommes déposés. Alors que nous récupérons nos sacs, un policier en moto se porte à hauteur du chauffeur et semble le sermonner. Il a enfreint les consignes. J'espère qu'il ne sera pas lourdement sanctionné. Nous le laissons pour ne pas envenimer la situation et nous cheminons sur cette longue route asphaltée qui nous conduit jusqu’au poste frontière. 


Lieu désertique, chaleur étouffante, pas un bruit à part celui de nos respirations. Ambiance western version asiatique. Nous arrivons avant les bus de touristes, les lieux sont donc vides et calmes. Sans surprise nous nous ne faisons racketer (2$ pour le tampon de sortie du Laos pourtant censé être gratuit et 35$ au lieu de 30$ pour l'entrée au Cambodge). On n'ose pas protester. On vient de bien galérer et on a pas envie de repartir dans une situation compliquée. Trente minutes plus tard et après nous être littéralement faits jeter les passeports à la figure nous quittons avec humour cette zone corrompue. A peine plus loin notre contact cambodgien nous attend. Retour à la normalité. Posé au café de ralliement nous accueillons les autres backpackers qui arrivent au compte goutte. Nous sommes finalement en tout une grosse quinzaine à nous être extirpés du piège laotien. Vers 11h30 nous prenons place dans deux minibus et nous partons. Une heure plus tard, rapide pause déjeuner, changement de minibus et direction plein pot vers Siem Reap. Ce sera ma seule et unique étape au Cambodge. Je profite donc pleinement des paysages et des scènes de vies qui défilent au travers du vitrage du van.

Siem Reap c'est la ville qui touche les temples d'Angor. Ancienne capitale de l'empire khmer. Un héritage culturel classé patrimoine mondial par l'Unesco. Un million de visiteurs annuel. Bref, le principal lieu touristique du pays. Difficile d'éviter les foules. En revanche je compte bien profiter de cela dans de bonnes conditions. La veille je réserve donc les services d'un tuktuk pour la journée. Le lendemain à 5h pétantes me voilà devant mon hôtel. Surprise, mon tuktuk s'est transformé en voiture. Mon chauffeur a refilé la course à son frère. Le tarif négocié reste le même. Tel cendrillon je prends donc place dans mon carrosse. On se rend aux guichets, cinq kilomètres plus au nord. Dans la nuit encore noire nous doublons une impressionnante procession de tuktuk. Il va y avoir du monde. La billetterie se décompose d'une bonne vingtaine de guichets déjà assaillis par une grosse centaine de personnes. Je fais la queue, on me prend en photo, je paye (cher) et on me tend un pass orné de ma trombine. L'opération a été rapide, on sent l'usine. Je rejoints mon chauffeur et nous filons directement vers Angor Vat le plus célèbre des temples. Je me mêle à la vague de zombies qui avance, guidés par la lueur des portables, vers le cœur du site. Il est 5h30, il fait encore bien sombre. Malgré l'affluence, il y a quelque chose de mystique à s'aventurer entre ces pierres chargées d'histoire. Je prends place face au temple comme mes congénères. Nous sommes prêts à observer le jour se dévoiler et abattre ses lueurs sur les cinq tours bien emblématiques du temple. Sur les balustrades voisines, quelques singes matinaux moqueurs observent notre étrange manège. Tranquillement l'astre solaire monte dans le ciel et révèlent au jour les détails du monument de pierre.




Avant que la chaleur ne frappe trop sévèrement et voulant devancer la foule encore amassée devant l'édifice, je me lance dans l'investigation du lieu. C'est agréable. Les gravures murales et autres ornements sont bien conservés. Toutefois on reste loin de la magie que j'ai pu vivre au Machu Pichu ou à Tikal. A Angor, j'ai même préféré le temple voisin de Bayon. Un étrange édifice arrondi autour du quel s’élèvent de nombreuses tours garnies de têtes de Bouddha. Du temple j'en aurai toute la journée. Sept au total. Et tous dans des ambiances différentes. Ta Prohm (qui a servi de lieu de tournage pour le film Tomb Raider) est envahi par de grands arbres qui ont pris solidement racine dans les pierres. A l'ombre des hauts feuillages, il est fascinant de voir la force de la nature venir envelopper ces vestiges humains. 












Le soir, après cette journée bien remplie, je me dirige vers le cœur de la ville. Secteur quadrillé et piétonnisé. Les restaurants et bars s'enchaînent. Une enseigne lumineuse « pub street » est fièrement accroché au dessus de la rue. L'instant d'un moment je pense m'être transporté du Cambodge vers Frémont street à Las Vegas. Je fuis les rabatteurs et m'écarte de cette foule. Je trouve asile dans un restaurant plus aux couleurs locales. J'en profite pour goûter de la viande de crocodile. Texture caoutchouteuse entre le poisson et le poulet. Rien d'extravagant. Ainsi se termine mon gros mois à arpenter la péninsule indochinoise. A présent, direction Bangkok pour une virée dans le sud de la Thaïlande.