Melbourne, Bali, Bangkok,
Hanoï. Trois vols avec trois compagnies différentes. Une nuit
sympathique à traverser un coin du Pacifique. A chaque escale, juste
le temps de passer l'immigration, récupérer mon paquetage, le
ré-enregistrer pour le vol suivant et passer de nouveau
l'immigration pour apposer le tampon de sortie à côté de celui
d'entrée à peine sec. Des tampons qui en appelleront d'autres
puisque a priori Bangkok et Bali seront à nouveau sur ma route. Tout
cela s'achève en matinée dans la capitale vietnamienne. Première
remarque, les blousons sont de sortie chez les locaux. Il fait 15°C,
retour en hémisphère Nord, bienvenu en hiver. Mais cela reste une
broutille face au choc culturel qui s'offre moi. Après 6-7 mois à
vagabonder dans des pays aux cultures anglo-saxonnes et latines me
voilà face à un autre monde.
Pas de transition. D'entrée mes premiers pas au Vietnam se font dans
une effervescence incroyable. Les rues d'Hanoï sont inondés de
scooters qui vont et viennent en tout sens, ignorants tout éventuel
code de la route. Les trottoirs n'existent pas réellement. Il s'agit
plus de parkings à deux roues où se faufilent quelques téméraires
piétons. En marge de cette frénésie routière, on observe le reste
de la ville s'affairer. Les gens préparent la tambouille à même le
sol et servent des locaux avachis sur des mini tabourets en
plastique; la dînette grandeur nature. Les anciens jouent aux Cờ
tướng, une sorte de jeu d’échecs à la sauce vietnamienne. On
croise des salons de coiffure improvisés dans la rue. Une glace
posée contre un mur, une paire de ciseaux et en avant. Les vendeuses
parées du traditionnel chapeau conique, traversent la ville, lestées
de paniers à balanciers sur l'épaule ou circulent sur des vélos
chargés de fruits ou autres objets insolites. Un commerce ambulant à
l'image d'une ville en perpétuel mouvement.
Nous sommes à quelques
jours du nouvel an vietnamien, le Têt (la première nouvelle lune
suivant le solstice d'hiver).
Ce qui rajoute j'imagine à l'exaltation ambiante. Pour Noël nous
avons notre sapin. Ici, pour le Têt, l'arbre fruitier est important.
Je vois donc naturellement défiler de nombreux scooters chargés de
pêchers ou kumquats. Pour l'heure je profite de la ville. Le lac
Hoan Kiem (lac de l'épée)
et son pont rouge, le Temple de la littérature consacré à
Confucius, le musée de la femme... A l'ouest je goutterai
à l'architecture communiste de la ville. Longues avenues, statue de
Lénine, grands bâtiments austères. Le clou étant le mausolée
d'Ho Chi Minh, posé au milieu d'une immense place qui contraste avec
l’exiguïté de la vieille ville. Dans une ambiance stricte et
militaire, la foule défile en rang ordonné pour passer devant la
dépouille momifiée de ce grand homme de la nation. Un moment mêlant
glauque et solennité. Dans une touche plus légère j'assisterai à
un spectacle traditionnel de marionnettes sur l'eau. L'occasion de
s'extraire du bruit citadin et d'admirer dans le cadre d'un théâtre
feutré toute la poésie que peut offrir l'art asiatique.
A
Hanoï je suis également rejoins par mon pote Cyrille (déjà
présent au Texas et en Louisiane)
et un couple d'ami espagnol qu'il a rencontré durant son séjour à
Dubaï (Victor et Pilar).
Après une soirée à tester la cuisine locale avachis sur nos
tabourets en plastiques au milieu des détritus et à raz des pare
chocs, nous prenons la route de la baie d'Ha Long. Petite croisière
avec nuit à bord pour sillonner cette baie et ses vues de carte
postale. Expédition à taille humaine puisque nous ne serons qu'une
grosse dizaine de passagers à bord en plus de notre guide et des
membres d'équipage. Ce qui ait moins à taille humaine c'est la
cohorte de ces embarcations qui emprunte le même chemin parmi cet
archipel d'îlots. Le cadre est magnifique. Le voile brumeux qui
enveloppe l'horizon donne un certain charme même s'il ne permet pas
une belle vue d'ensemble. Il faut également savoir faire abstraction
de la masse de déchets flottants autour de l’embarcation. Pas mal
d'activités nous sont proposées pour rythmer la traversée.
Découverte d'un réseau de cavités sur une des îles, pêche au
calamars du pont du bateau, atelier préparation de rouleaux de
printemps... Ce soir c'est le jour du Têt. Nous fêtons ça à notre
manière entre touristes autour d'une sympathique partie de jenga.
Nous profitons généreusement des deux heures de « free
beers » pour dévaliser le
frigo. Peut être trop au goût de l'équipage. Peu avant minuit on
nous fait comprendre que la fête est finie. C'est donc sur le pont
que nous observons le Vietnam basculer dans la nouvelle
année. A minuit, les bateaux amarrés autour de nous nous offrent un
concert de sirènes. Moment particulier que de voir résonner cette
baie d'Ha Long plongée dans la pénombre.
De
retour sur la capitale, je salue Pilar, Victor et Cyrille qui
prennent la route de l'aéroport, leur séjour s'arrêtant là. Quant
à moi il me reste encore une journée sur Hanoï avant de prendre
mon bus de nuit vers Sapa. C'est mon quatrième jour ici, je commence
à avoir mes marques. A présent, je traverse aisément les rues en
slalomant entre les scooters, le tout sous le regard stupéfait de
touristes encore fébriles. Je quitte la vieille ville et me risque à
passer de l'autre côté de la grande artère routière qui longe le
centre à l'est. Là bas, je retrouve une ville plus calme. Le
quotidien semble le même mais le flot de scooters a diminué et je
dois être le seul touriste. En fin de journée, je me poserai sur un
banc au bord du lac Hoan Kiem pour regarder les gens endimanchés
venir se prendre en photo dans les jardins fleuris bordant la grande
étendue d'eau. Posé, j'observe ce tourniquet de vie colorée passer
devant moi. Le tout avec une saveur de fête foraine. Ballons, glaces
et bulles de savons sont de la partie. Amusant de voir la grande
place voisine ornée de sa grande statue aux relents de propagande
communiste si austère il y a deux jours et noire de monde
aujourd'hui. Je souris en observant les enfants jouer dans des
voitures à pédales devant ce monument d'un autre temps.
Prochaine
étape donc, Sapa, au nord, dans les montagnes. Le bus de nuit est un
peu particulier, pas de siège, que des couchettes sur deux niveaux
et trois rangées. Une sorte de dortoir roulant mais qui reste
confortable. Nous arrivons à Sapa vers 4h du matin. Nous finissons
la nuit dans le bus mais nous sommes gentiment invités à en
descendre vers 6h. Petite agitation matinale autour des véhicules
ayant ramené ces flots de touristes. Les passagers sont rapidement
harcelés par les moto-taxis et les locaux qui proposent leurs
services. Beaucoup de monde mais pas de trace du guide censé me
récupérer en vue de mon tour de deux jours. Le temps passe et je me
retrouve rapidement presque seul. Le nom et le numéro de l'agence
sont sur le billet de bus qu'on m'a pris en embarquant à Hanoï. Je
comprends rapidement que personne ne va m'aider. Bref, on va devoir
encore improviser. Pas le temps de se morfondre, l'aventure est
encore au bout du chemin. Je me rends au centre du village. Alors que
je m'arrête devant la vitrine d'une agence, je suis accosté par une
femme Hmong. Elle me propose de passer la soirée dans sa famille
dans son village à une quinzaine de bornes de là. Petite ballade au
cœur des montagnes en perspective. Banco. Je troque donc mon trek
dans les rizières et son organisation un poil aseptisée pour un
séjour culturel et immersif parmi les Hmongs.
Et
c'est comme ça que nous voilà en marche sur un petit chemin de
terre grimpant dans les montagnes. Nous cheminons ainsi environ
quatre heures et traversons une paire de villages semi-isolés. Des
amas d'habitations de bric et de broc regroupés autour de minuscules
églises en bois et de petites écoles colorées. Les chèvres, les
cochons et les poules se promènent sur les sentiers en toute
liberté. Le premier village semble désert. Mon hôte m'indique
qu'ils sont descendus à Sapa en tenues traditionnelles pour fêter
le Têt. Dans le deuxième village, ils sont tous regroupés autour
de l'église. Également en tenues de fête. Finalement nous arrivons
chez mon hôte. Une grande maison de fortune nichée à flanc de
colline. De simples murs en bois posés sur une chape brute et
coiffés d'un toit en tôle. Pas de fenêtre. Pas de mobilier hormis
une table, des chaises en plastique et des lits. La porte donne sur
une coursive ou trône une immense jarre en terre cuite servant à
récolter l'eau de pluie. C'est ici qu'on semble faire la vaisselle
et laver les aliments. La cuisine se résume à un coin de la maison
qui s'organise autour d'un foyer creusé dans le sol et au dessus
duquel pendouillent des morceaux de viandes séchées et fumées. Les
toilettes sont situées en dehors de la bâtisse. Un poulailler, du
bétail, un bananier et tout autre type de culture entourent
l'habitation.Tout pour vivre en quasi autarcie. L'ensemble est plus
que rudimentaire, mais ce modeste logis semble parfaitement convenir
au cinq enfants et leurs parents.
Nous
sommes encore dans les festivités du Têt. On me convie à suivre la
petite famille jusqu'au village pour prendre une collation chez une
autre partie de la famille. On m'invite à m'asseoir sur un petit
tabouret en bois dans un coin, à côté du feu. La grande pièce
sans fenêtre n'est éclairée que par le trait de lumière qui
jaillit par la porte ouverte et par les flammes vacillantes du feu de
bois. J'apprécie à sa juste valeur, en spectateur discret, cette
authentique tranche de vie qui s'offre à moi. J'observe les femmes
discuter entre elles, les mains bleuies par le travail de l'indigo.
Dehors, les enfants jouent bruyamment. Ils courent autour de la
maison et parfois surgissent dans l'encadrement de la porte,
machouillants un bout de cane à sucre. A l’intérieur, on décroche
les morceaux de viandes suspendus au dessus du feu. On les découpe à
la machette sur une planche en bois posée à même le sol, puis on
les jette dans de grandes et vielles marmites en fonte disposées au
dessus des braises. Dan un coin, j'aperçois un minuscule chat qui,
comme moi, ne manque pas une miette de ce singulier tableau. A
l'autre bout de la pièce, un ancien fume une sorte d'herbe dans un
bang en bambou. Les visages sont marqués, burinés et ridés par les
dures conditions de vie et par des années de labeur mais sans
conteste les francs sourires qu'on peut également y lire ne laissent
aucun de doute sur leur état d'esprit. Finalement on se regroupe
tous sur nos mini tabourets autour de la petite table et seul meuble
de la pièce. Les différentes victuailles y sont disposées. Cochon,
canard, poulet, thé au porc, pain de riz, nouilles... On me sert un
verre d'alcool de riz. Et on me le remplira sans cesse. Les
discussions fusent dans cette langue qui me reste interdite. En fin
d'après midi nous prenons congé. La lumière a faibli, une épaisse
brume enveloppe la vallée. Nous sommes vraiment isolés. Un monde à
part.
Une
fois rentrés, tout le monde s'active autour du feu. A priori c'est
reparti pour un tour, à domicile. Mêmes gestes. On décroche la
viande suspendue au dessus du foyer, on la rince à l'eau bouillante,
on la découpe et on la jette à cuire. Le chien guette tout cela du
pas de la porte. A la fin de chaque étape il rentre et lape le sol.
Mieux qu'un aspirateur. A nouveau on s'agglutine tous autour de la
petite table et nous nous soumettons au même rituel. L'invité
principal récite les bénédicités puis, armés de nos verres
d'alcool de riz, nous trinquons tous à la nouvelle année. Repu je
salue l'assemblée et me retire dans la pièce adjacente qui m'est
attribué. Toute la famille quant à elle couche sous les toits, dans
des combles accessible par échelle via la pièce centrale (un
remake de la petite maison dans la prairie).
Le sommeil vient rapidement. J'observe la nuit au travers des
jointures du toit et je me laisse bercer par les chants traditionnels
qui montent de la maison d'en dessous. Hier encore je ne pensais pas
vivre tout cela.
Au
petit matin, je découvre toute la famille en tenue traditionnelle.
Ils s'apprêtent à descendre à Sapa pour continuer à célébrer le
Têt. La mère de famille quant à elle continue de me faire visiter
ses montagnes. Elle qui n'a jamais quitté cette région. Elle qui ne
connaît Hanoï qu'au travers des films. Elle qui a appris quelques
mots d'anglais en allant au contact des touristes. Nous traversons un
autre village puis nous redescendons dans la vallée en longeant de
hauts bambous et des rizières en cascade. Les récoltes sont en
Septembre. Pour l'heure tout cela ressemble plus à une succession de
bassins boueux. Au dernier village nous prenons des moto-taxis pour
clôturer la boucle et regagner Sapa. Alors que le scooter valdingue
sur une route cahoteuse, les plus belles vues s'offrent à moi. La
route surplombe la vallée et on aperçoit les cultures en terrasses
sculptées sur les flancs de collines. A Sapa, je salue
chaleureusement mon hôte et la remercie encore pour ce moment qui va
rester gravé dans ma mémoire. Et sans transition, me revoilà
plongé dans le flot de touristes.
Bus
de fin de journée pour retourner sur Hanoï, une courte dernière
nuit dans la capitale et je reprend la route au petit matin pour Mai
Chau où je compte m'offrir une journée off. Je loge dans une jolie pension familiale. Un petit hôtel lacustre en bambou avec vue sur
les rizières et les montagnes. Pas le temps de m'attarder sur la
vue. On me prie de regagner la pièce à vivre à l'étage. Je passe
la porte et tombe sur une scène qui m'est familière : des gens
assis en tailleur autour de mets. A peine le temps de m'asseoir que
je me retrouve avec un verre d'alcool de riz à la main. Les vietnamiens sont
bienveillants, ils n’arrêteront pas de me servir à manger et à
boire. Dans la bonne humeur on se moque de ma façon de tenir les
baguettes. Il y a pas à dire le Têt c'est quelque chose. Je suis
très heureux d'avoir pu le vivre et ce de plusieurs manière
différentes. Cette première semaine m'a rappelé pourquoi j'ai
entrepris ce voyage.
Chúc
Mừng Năm Mới !