vendredi 28 juillet 2017

Escapade Ibèrique

valence fontaine


Nous avons quitté Barcelone à la nuit tombée, légèrement retardés par un problème de poulie qui empêchait de relever la passerelle et qui a bien mobilisé une grande partie de l'équipage sous nos yeux curieux. L'animal s'est finalement élancé, tracté par deux remorqueurs. Nous nous sommes éloignés de la capitale catalane à petite allure mais non sans extraire un important panache de fumée qui lentement enveloppa la ville dans une brume lointaine et la fit disparaître de notre regard. Il y avait un vent frais mais la chaleur dégagée par le moteur nous permettait de profiter agréablement de la monotonie toute relative du paysage. Je suis resté ainsi un moment à observer le ciel noir clair qui se dégageait de l'eau bleu sombre.



Vendredi
Après une nuit calme, nous avons atteint Valence à l'heure du petit déjeuner. L'intendant nous a informé que le bateau ne repartirait que le lendemain matin. Nous projetons donc une visite de la ville après le repas de midi.

Dans la navette qui nous conduit du bateau au poste de contrôle nous sommes accompagnés par quatre membres d'équipages qui viennent de terminer leur temps sur le Coral, et qui on le voit, ne sont pas mécontents de repartir chez eux, à Bucarest et Colombo.

Valence est fidèle à l'image que j'ai des villes espagnoles. Une cité massive mais raffinée où la pierre blanche prédomine. Des bâtiments d'envergure mais restant dans une architecture sobre et délicate. Une multitude de rues ombragées et de places arborées offre un refuge à la brutalité du soleil qui trône au dessus de la cité.

monument valencemonument valence


 




Suite à de trop de nombreuses inondations, il y a une quarantaine d'année, le fleuve qui traversait la ville a été détourné. Son ancien lit accueille aujourd’hui un parc richement végétalisé qui ceinture agréablement la ville. Valence abrite également un marché central au sein d'une halle magnifique. Un petit joyau qui me fait tristement penser au désastre qu'ont subi les halles de nos marchés toulousains. 

marché valence

Une belle dernière halte européenne dans une ville qui m’était encore inconnue.

Ces premiers jours sur le bateau m'ont permis de commencer à appréhender un autre quotidien. Passer le temps, sur une chaise longue, à observer la vie s'organiser à quai. Ne plus sursauter au énième bruit d'un container déposé malhabilement. Gravir la flopée de marches qui séparent la salle de restauration (niveau A) de nos appartements (niveau E).

Mais aussi bizarre que cela puisse paraître c'est dans cette période d'agitation, où les gens s'activent autour du bateau et où l'on peut descendre à quai que je ressens comme un enfermement. On se sent prisonnier avec le bateau immobile. Il me tarde de passer le détroit de Gibraltar, pour que sans retenu à quarante kilomètres heures nous parcourions, jour et nuit pendant une grosse semaine, la distance qui nous sépare du continent américain.

Je profite de ce qu'il me reste de connexion pour glisser ce court billet. Le prochain sera du nouveau monde.


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jeudi 27 juillet 2017

La bête et la mer


Coral, c'est donc son nom. Deux cent quatre vingt mètres de long pour tente mètres de large. Une capacité de contenance de plus de quatre mille containers. Une belle bête. Un monstre.

cargo coral

Nous serons vingt-huit à habiter l'engin. Vingt-cinq membres d'un équipage roumain / sri-lankais et trois passagers. Je partagerai donc mon expérience avec deux autres privilégiés.
Antoine, suisse francophone, bien rodé à la manœuvre qui regagne New York pour une résidence d'artiste dédiée à l'écriture de six mois. Svitlana, ukrainienne, vivant en France depuis dix huit ans, qui abandonne son mari et son fils le temps de vivre cette traversée. A trois, nous allons appréhender un autre rapport à l'espace et au temps.

Mardi
J'ai embarqué en fin de matinée et j'ai donc eu le loisir d'assister toute l'après midi au ballet de chargement et déchargement des containers, un défilé de grues aux déplacements faussement désorganisés , une vraie fourmilière. Autant de bras géants articulés qui viennent déposer ces boites métalliques jusqu'aux entrailles de la bête. Un mammifère de métal au grand appétit, une grosse vingtaine de ligne de containers. Chacune d'une largeur d'une douzaine de boîtes pour une hauteur d'une quinzaine d'unités. De l'extérieur, on ne voit qu'un ensemble de boites multicolores et on s'amuse à essayer d'en deviner le contenu mercantile.

La partie habitable du bateau se résume à un périmètre d'une trentaine de mètres de large sur une vingtaine de mètres de long, le tout réparti sur huit niveaux. On retrouve bien sûr les cabines, cuisines et salles de repas mais également des espaces détentes, une laverie, une salle de sport, une piscine (remplie à l'eau de mer, mais qui est vide pour l'instant)... et au dernier étage la salle de commandement. J'imagine qu'en dessous de cet espace à vivre, se trouve un ensemble de niveaux dédiés aux machineries.

Les repas se prennent à heure fixes, l'occasion pour moi de retrouver mes compagnons de voyages.
A bord on sent la quiétude, chacun vaque à un quotidien bien rodé. Les officiers de navigations opèrent de la salle de commandement, les intendants circulent dans les espaces communs pendant que les mécaniciens plongent au cœur de la bête. Chaque membre d'équipage reste à bord entre quatre et neuf mois, et accompagne ainsi, au gré des ports, ce convoi de containers.

Nous avons finalement quitté Fos-sur-Mer vers minuit. La première nuit a permis de sentir le vaisseau lentement rouler sur l'eau. Je me suis endormi bercé par le ronronnement sourd et régulier du moteur.

Mercredi
Après le déjeuner nous avons été formés aux consignes de sécurité. Nous avons pu longer ensuite le pont sur deux grosses centaines de mètres pour gagner l'avant du bateau. A l'avant le vrombissement du moteur cesse, on ne capte plus que le doux bruissement des vagues. La mer s'offre à nous directement, dans son immensité.


Nous avons également accès à un ensemble de coursives extérieures qui nous permettent de séjourner dehors et d'être au plus prêt de l'expérience. Et notamment de voir ce grand bateau, si majestueux à quai, retrouver un semblant d’humilité une fois perdu au milieu des flots. Le vent nous apporte des senteurs salines qui viennent compléter le tableau. Le sel et la rouille patinent inlassablement le porte containers qui sereinement fend l'eau.

Nous sommes arrivés en vue de Barcelone en fin d'après midi. Nous sommes restés en stationnement dans l'attente de notre tour d’entrée au port. Le temps d'observer la belle cité catalane sous une lumière déclinante. De loin on devinait la colline de Montjuic et la Sagrada Familia se dresser fièrement. Une ville que j'ai déjà gagné une dizaine de fois. En voiture, en train, en bus et même en avion. Et demain matin ce sera en bateau.

soleil couchant voyage en cargo

Jeudi
Vers six heure trente, le bateau se mit en branle, nous allons accoster. Juste le temps de me transporter sur la coursive pour nous voir entrer au port sous les premiers rayons du jour et une fraîcheur toute matinale.

Après avoir laissé passer le rush de l'arrivée (amarrage, paperasse de douane...), on nous a confectionné des badges pour pouvoir passer le poste de sécurité et rejoindre le centre ville tout proche. L'occasion pour moi de flâner une fois de plus le long des Ramblas, du marché de la Boqueria, de la Plaza Real, du quartier gothique, de Barceloneta.... En longeant la plage et en apercevant les cargos sur la ligne d'horizon, je me suis dit que bien  que proche physiquement de chez moi, j'en suis déjà finalement loin.

barcelone plage voyage en cargo


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samedi 22 juillet 2017

Lost in translation

Ça fait quinze jours maintenant que j'ai rendu mon matériel professionnel et salué mes collègues. Deux semaines, la période tampon que je me suis donné  avant le départ. Deux semaines pour passer définitivement de travailleur à voyageur.

Le temps d'une dernière respiration (redécouvrir notamment la réelle signification du mot sieste).
Le temps surtout de jouer les effaceurs, de redevenir rien. Vendre sa voiture. Louer, du moins, tenter de louer son appartement. Déménager ses affaires. Informer les différents organismes et administrations. Bref réduire son quotidien à un sac à dos.
Le temps de faire le tour de tout le monde pour un dernier salut.
Le temps aussi de bien sentir ce train lancé vers une destination inconnue bien que choisie.

Plus je me suis documenté et renseigné plus j'ai relativisé. Mon projet me semble aujourd’hui presque banal et anodin. On n’imagine pas le nombre de personnes qui réalisent tous les jours des projets similaires voire bien plus extraordinaires.
Mais également, plus je finalisais sa préparation, plus mes interlocuteurs me rappelaient, joyeusement, le coté particulier de l'entreprise. Une demi heure avec le pharmacien à faire le tour de son officine, tout heureux qu'il était que je l'extrais un instant de son quotidien. Passer vingt minutes à parler voyage avec son assureur, a priori pas si débordé que ça. Écouter les conseils des uns et des autres sur les destinations égrainées qui ont fait écho à la question "c'est quoi ton parcours?"

Ce texte est le premier de ce blog, le dernier moment avant le sprint final (quinze jours de pause ça laisse également le temps de suivre le Tour de France). 
Ce soir, une dernière fête. 
Demain je nettoierai mon appartement et le laisserai lundi comme on quitte un lieu devenu impersonnel. Comme on quitte un appartement de location jusqu'au suivant. Le suivant sera à Istres. Dernière étape avant d'embarquer, en principe Mardi, sur le cargo Coral à destination de New York...


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