Après Las Vegas, la fin
de mon séjour nord américain passera par le Texas et la Louisiane.
On double les effectifs puisque je serai accompagné sur cette partie
par mon pote Cyrille, en provenance de Stockholm. Début du périple
au Texas donc, et sa capitale, Austin. Quatrième ville de l’État
derrière Houston, Dallas et San Antonio, la ville se révèle
agréable à vivre. Grand campus universitaire au nord, capitole au
cœur et lieux de vies alignés le long de la très dynamique 6eme
rue. L'ensemble des bars et des
restaurants se trouvent le long de cet ancien axe historique posé à
l'ombre des gratte ciels récents. Ambiance lounge-cocktails à
l'ouest dans des bars aux grandes terrasses couvertes et ambiance
plus rock'n'roll à l'est avec l'enfilade de bar et leurs concerts
d'artistes locaux. Dans la perpendiculaire (Red River
street) on retrouve une
succession de clubs proposant encore plus de concerts dans des
ambiances plus intimistes. L'ensemble offre une cachet underground et
alternatif plutôt sympa. Tout cet espace laissé à l'activité
musicale favorise l'émergence de groupes locaux. Pas surprenant donc
que deux des groupes préférés de mes oreilles soient originaires
d'ici (Trail of dead
et Explosions in the sky).
Ce
séjour à Austin sera également le prétexte pour assister à un
match de football américain universitaire entre les Texas Longhorns
et les Oklahoma State Cowboys. Un match ultra serré qui verra la
défaite des locaux en prolongation sous un soleil de plomb et une
belle affluence d'environ 40.000 personnes tout d'orange vêtues. Le
lendemain on remplace le ballon par le volant pour assister au grand
prix de formule 1 des USA. Idéalement placé au bout de la longue
ligne droite nous aurons droit à de jolis dépassements et de belles
passes d'arme. Hamilton gagnera la course devant Vettel. Ocon, le
premier français se classera brillamment sixième. On complétera
cette session sportive par un match de basket à San Antonio entre
les Spurs locaux et les Toronto Raptors. Malheureusement nous ne
verrons pas briller Tony Parker, le français de l'étape. Blessé il
ne participera pas à la victoire des siens.
San
Antonio est une grande ville américaine assez classique, mais son
centre historique à l'architecture hispanisante est assez
rafraîchissant. On retrouve les vestiges du célèbre Fort Alamo
(Fort étant peut être un terme légèrement usurpé pour
cette bâtisse et son mince mur d'enceinte).
Plus loin on peut profiter d'une paisible promenade le long de canaux
serpentants au cœur de la ville, en retrait du vacarme automobile.
Des cafés et restaurants invitent à une halte au bord de l'eau.
Nous opterons pour une restauration mexicaine. On récupère
la voiture de location (ma cinquième du voyage)
et nous filons vers la Louisiane. Une grosse première journée à
traverser le Texas le long d'une autoroute rectiligne. Nous passerons
par Houston. Je m'attendais à un paysage meurtri par la tempête
« Harvey » .
Il n'en est rien, ou tout du moins pas ou peu de stigmate visible sur
notre passage. Nous arriverons en Louisiane en faisant un détour par
la côte pour observer l'eau du golfe du Mexique se déverser sur des
plages blanches et désertiques. Ça et là on retrouve des hameaux
de maisons en bois posées sur pilotis. Le tout très faiblement
animé, un ensemble assez sauvage au final.
La
Louisiane est un territoire assez original, de par son histoire et sa
géographie. C'est un territoire colonisé par les espagnols, les
français, les acadiens (colons français de la Nouvelle-Écosse
au Canada qui ont migré au sud, chassés par la couronne anglaise)
et les anglais mais c'est aussi une histoire fortement marquée par
l'esclavage et les plantations de cannes à sucre le long du
Mississippi. On est sur un cocktail culturel assez atypique dont la
Nouvelle Orléans en est le meilleur révélateur. On y retrouve une
architecture coloniale (maisons an bois avec terrasses sur
colonnes) assez tranchante avec ce que j'ai pu observé au
travers du pays. Les noms de rue sont très francisés (mention
spéciale pour la rue de Toulouse et la rue Chef Menteur). La
population locale est très majoritairement noire, marqueur d'une
passé colonial encore proche. Avec un peu de recul, la situation
a-t-elle fondamentalement changée ? Au final, dans les
restaurants, les touristes restent quasi exclusivement blancs et sont
servis par un personnel quasi exclusivement noir.
Notre
week-end à la Nouvelle Orléans aura plusieurs saveurs. En effet, à
trois jours d'Halloween, les fêtards se sont parés de leurs plus
beaux costumes et déambulent dans la rue très décadente de Bourbon
Street, une sorte d'Amsterdam à la sauce cajun. La nuit a
enveloppé la ville, et dans une chaleur encore toue estivale la
bière coule à flot dans les bars aux enseignes lumineuses et aux
décorations de citrouilles, squelettes et araignées. Les supporters
des Chicago Bears venus encourager leur équipe de football américain
qui joue dimanche grossissent le rang des touristes. Ça grouille le
long de cette rue fermée à la circulation dans un joli brouhaha.
Des sonorités de jazz s'échappent de quelques établissements et se
mêlent au vacarme ambiant. Au sud du centre la très longue Magazine
street offre une belle balade le long de ces maisons d'époques
en bois reconverties en café, restaurants et autres boutiques.
Dans
les terres, au sud, on est dans le bayou. Zone marécageuse
constituée des méandres du Mississippi. Une superbe balade en
bateau nous permettra d'explorer la faune et la flore du lac Martin.
Au programme toute sorte d'oiseaux à long pieds, des tortues
perchées sur des bouts de bois et bien sûr des alligators que nous
approcherons à moins de cinq mètres. La coque du bateau est en
métal, il faut bien ça pour se protéger de la mâchoire de
l'animal garnie de prés de deux cents dents. Après les bisons des
neiges, j'avoue que le lézard des marais n'est pas mal non plus. Il
y a quelque chose de majestueux à observer la force tranquille de
cet animal immobile au soleil. On glisse sur l'eau en slalomant entre
les arbres et les nénuphars tout en profitant de jeux de lumière
assez incroyable dans un calme apaisant.
Un
dernier match de basket entre les New Orleans Pelicans et les
Cleveland Cavaliers de Lebron James et il est temps de changer
d'atmosphère et de survoler le « mur » vers le Mexique.
Cela fait maintenant trois mois que j'ai quitté la France, je viens
de boucler le premier quart de mon voyage, déjà. Et pourtant, je ne
me suis pas encore réellement frotté à l'aventure. Mon trip nord
américain a plus eu l'allure d'un patchwork touristique que d'un
road-trip à la Kerouac. J'en ai conscience, et même je le savais
avant de partir. Je voulais vraiment profiter de mon séjour et
l'agrémenter à ma sauce avec notamment du sport et du poker.
C'était donc assez calibré au final.
Mais au travers des seize
États traversés (New York, New Jersey, Washington,
Oregon, Californie, Utah, Idaho, Wyoming, Dakota du sud, Minnesota,
Wisconsin, Nevada, Arizona, Texas, Louisiane et Mississippi) j'ai
vraiment appréhendé la nouvelle dimension dans laquelle je suis
rentré : la liberté. Maintenant, il faut pousser le curseur
plus loin et se convaincre de sortir de ce confort encore trop
familier. Évidemment, le plus gros du cheminement a été fait. Mais
cela reste tout de même une lutte permanente. Affronter sa peur.
Ah
la peur. Notre plus grand ennemi. La peur qui nous limite et
qui définit le cadre de nos vies. Les bordures à ne pas dépasser.
Ce que l'on peut faire et ce que l'on ne s'autorise pas à faire. La
peur qui nous circonscrit à notre zone de confort, celle de nos
certitudes. Et qui bride ainsi, inconsciemment, notre liberté. On a
peur de l'échec, peur de se tromper, peur d'affecter l'estime de soi
et d'assumer le regard des autres. La peur, naturelle, de se
confronter au changement, à l'incertitude. Pourquoi diable vouloir
abandonner un état qui nous satisfait ? Finalement on a peur de
la liberté, peur de faire des choix. Des vrais, ceux qui engagent.
Pourquoi tenter le mieux quand le bien est suffisant ? La peur
n'est pas rationnelle, elle est instinctive, elle est protectrice.
C'est notre instinct de survie. L'inconnu est d'office classé comme
dangereux, et on le fuit.
Cette peur se combat à
l'aide de la raison, c'est ainsi qu'elle se déconstruit. C'est une
lutte avec soi-même durant laquelle on essaie de dompter son
inconscient. Oui, la peur n'est jamais anodine, le danger sous-jacent
est bien réel. Mais quel est il vraiment ? Est il si grand ?
C'est sous l'angle de cette posture que j'ai, avec du temps certes,
réussi à vaincre la peur d'entreprendre ce voyage. Non pas qu'il
soit sans danger ou que je l'aborde de manière inconsciente. Bien au
contraire, j'en ai pris la pleine mesure. Face à chaque doute, j'ai
relativisé. J'ai rationalisé chaque étape. Et un jour, elle avait
disparu. Plus aucune peur n'entravait cette entreprise. Il ne restait
que l'adrénaline de l'envie de découvrir. Le risque de l'échec et
de la déception sont toujours là, mais ils sont apprivoisés et
acceptés. Je préfère les remords aux regrets, la page gribouillée
à la feuille blanche, la mémoire à l'illusion. J'ai trop longtemps
cédé. J'ai trop abandonné de projets. Ou du moins, je les ai
rangés dans le rayon des rêves.
Le rêve, quel triste
échappatoire. Une pseudo catharsis, une réalité virtuelle, une
existence imaginaire. Un vide. Un rêve est fait pour être vécu.
Pour être tenté. L'échec n'est qu'une étape possible sur la
route. L'échec nous nourrit, l'erreur nous enseigne. Soyons fiers de
ces cicatrices de nos vies. Tout cela rend encore plus belles nos
réussites finales. La peur ne se vainc pas avec du courage. C'est
juste une pensée qui nous entrave et à laquelle on accorde
finalement trop d'importance. Il ne tient qu'à moi de la balayer et
de profiter de ce que m'offre le reste de ma route.