lundi 30 octobre 2017

Texas et Lousiane, une Amérique de caractère


Après Las Vegas, la fin de mon séjour nord américain passera par le Texas et la Louisiane. On double les effectifs puisque je serai accompagné sur cette partie par mon pote Cyrille, en provenance de Stockholm. Début du périple au Texas donc, et sa capitale, Austin. Quatrième ville de l’État derrière Houston, Dallas et San Antonio, la ville se révèle agréable à vivre. Grand campus universitaire au nord, capitole au cœur et lieux de vies alignés le long de la très dynamique 6eme rue. L'ensemble des bars et des restaurants se trouvent le long de cet ancien axe historique posé à l'ombre des gratte ciels récents. Ambiance lounge-cocktails à l'ouest dans des bars aux grandes terrasses couvertes et ambiance plus rock'n'roll à l'est avec l'enfilade de bar et leurs concerts d'artistes locaux. Dans la perpendiculaire (Red River street) on retrouve une succession de clubs proposant encore plus de concerts dans des ambiances plus intimistes. L'ensemble offre une cachet underground et alternatif plutôt sympa. Tout cet espace laissé à l'activité musicale favorise l'émergence de groupes locaux. Pas surprenant donc que deux des groupes préférés de mes oreilles soient originaires d'ici (Trail of dead et Explosions in the sky). 

 


Ce séjour à Austin sera également le prétexte pour assister à un match de football américain universitaire entre les Texas Longhorns et les Oklahoma State Cowboys. Un match ultra serré qui verra la défaite des locaux en prolongation sous un soleil de plomb et une belle affluence d'environ 40.000 personnes tout d'orange vêtues. Le lendemain on remplace le ballon par le volant pour assister au grand prix de formule 1 des USA. Idéalement placé au bout de la longue ligne droite nous aurons droit à de jolis dépassements et de belles passes d'arme. Hamilton gagnera la course devant Vettel. Ocon, le premier français se classera brillamment sixième. On complétera cette session sportive par un match de basket à San Antonio entre les Spurs locaux et les Toronto Raptors. Malheureusement nous ne verrons pas briller Tony Parker, le français de l'étape. Blessé il ne participera pas à la victoire des siens. 








San Antonio est une grande ville américaine assez classique, mais son centre historique à l'architecture hispanisante est assez rafraîchissant. On retrouve les vestiges du célèbre Fort Alamo (Fort étant peut être un terme légèrement usurpé pour cette bâtisse et son mince mur d'enceinte). Plus loin on peut profiter d'une paisible promenade le long de canaux serpentants au cœur de la ville, en retrait du vacarme automobile. Des cafés et restaurants invitent à une halte au bord de l'eau. Nous opterons pour une restauration mexicaine. On récupère la voiture de location (ma cinquième du voyage) et nous filons vers la Louisiane. Une grosse première journée à traverser le Texas le long d'une autoroute rectiligne. Nous passerons par Houston. Je m'attendais à un paysage meurtri par la tempête « Harvey » . Il n'en est rien, ou tout du moins pas ou peu de stigmate visible sur notre passage. Nous arriverons en Louisiane en faisant un détour par la côte pour observer l'eau du golfe du Mexique se déverser sur des plages blanches et désertiques. Ça et là on retrouve des hameaux de maisons en bois posées sur pilotis. Le tout très faiblement animé, un ensemble assez sauvage au final.






La Louisiane est un territoire assez original, de par son histoire et sa géographie. C'est un territoire colonisé par les espagnols, les français, les acadiens (colons français de la Nouvelle-Écosse au Canada qui ont migré au sud, chassés par la couronne anglaise) et les anglais mais c'est aussi une histoire fortement marquée par l'esclavage et les plantations de cannes à sucre le long du Mississippi. On est sur un cocktail culturel assez atypique dont la Nouvelle Orléans en est le meilleur révélateur. On y retrouve une architecture coloniale (maisons an bois avec terrasses sur colonnes) assez tranchante avec ce que j'ai pu observé au travers du pays. Les noms de rue sont très francisés (mention spéciale pour la rue de Toulouse et la rue Chef Menteur). La population locale est très majoritairement noire, marqueur d'une passé colonial encore proche. Avec un peu de recul, la situation a-t-elle fondamentalement changée ? Au final, dans les restaurants, les touristes restent quasi exclusivement blancs et sont servis par un personnel quasi exclusivement noir.







Notre week-end à la Nouvelle Orléans aura plusieurs saveurs. En effet, à trois jours d'Halloween, les fêtards se sont parés de leurs plus beaux costumes et déambulent dans la rue très décadente de Bourbon Street, une sorte d'Amsterdam à la sauce cajun. La nuit a enveloppé la ville, et dans une chaleur encore toue estivale la bière coule à flot dans les bars aux enseignes lumineuses et aux décorations de citrouilles, squelettes et araignées. Les supporters des Chicago Bears venus encourager leur équipe de football américain qui joue dimanche grossissent le rang des touristes. Ça grouille le long de cette rue fermée à la circulation dans un joli brouhaha. Des sonorités de jazz s'échappent de quelques établissements et se mêlent au vacarme ambiant. Au sud du centre la très longue Magazine street offre une belle balade le long de ces maisons d'époques en bois reconverties en café, restaurants et autres boutiques.

 

Dans les terres, au sud, on est dans le bayou. Zone marécageuse constituée des méandres du Mississippi. Une superbe balade en bateau nous permettra d'explorer la faune et la flore du lac Martin. Au programme toute sorte d'oiseaux à long pieds, des tortues perchées sur des bouts de bois et bien sûr des alligators que nous approcherons à moins de cinq mètres. La coque du bateau est en métal, il faut bien ça pour se protéger de la mâchoire de l'animal garnie de prés de deux cents dents. Après les bisons des neiges, j'avoue que le lézard des marais n'est pas mal non plus. Il y a quelque chose de majestueux à observer la force tranquille de cet animal immobile au soleil. On glisse sur l'eau en slalomant entre les arbres et les nénuphars tout en profitant de jeux de lumière assez incroyable dans un calme apaisant.






Un dernier match de basket entre les New Orleans Pelicans et les Cleveland Cavaliers de Lebron James et il est temps de changer d'atmosphère et de survoler le « mur » vers le Mexique. Cela fait maintenant trois mois que j'ai quitté la France, je viens de boucler le premier quart de mon voyage, déjà. Et pourtant, je ne me suis pas encore réellement frotté à l'aventure. Mon trip nord américain a plus eu l'allure d'un patchwork touristique que d'un road-trip à la Kerouac. J'en ai conscience, et même je le savais avant de partir. Je voulais vraiment profiter de mon séjour et l'agrémenter à ma sauce avec notamment du sport et du poker. C'était donc assez calibré au final.


 
 Mais au travers des seize États traversés (New York, New Jersey, Washington, Oregon, Californie, Utah, Idaho, Wyoming, Dakota du sud, Minnesota, Wisconsin, Nevada, Arizona, Texas, Louisiane et Mississippi) j'ai vraiment appréhendé la nouvelle dimension dans laquelle je suis rentré : la liberté. Maintenant, il faut pousser le curseur plus loin et se convaincre de sortir de ce confort encore trop familier. Évidemment, le plus gros du cheminement a été fait. Mais cela reste tout de même une lutte permanente. Affronter sa peur.

Ah la peur. Notre plus grand ennemi. La peur qui nous limite et qui définit le cadre de nos vies. Les bordures à ne pas dépasser. Ce que l'on peut faire et ce que l'on ne s'autorise pas à faire. La peur qui nous circonscrit à notre zone de confort, celle de nos certitudes. Et qui bride ainsi, inconsciemment, notre liberté. On a peur de l'échec, peur de se tromper, peur d'affecter l'estime de soi et d'assumer le regard des autres. La peur, naturelle, de se confronter au changement, à l'incertitude. Pourquoi diable vouloir abandonner un état qui nous satisfait ? Finalement on a peur de la liberté, peur de faire des choix. Des vrais, ceux qui engagent. Pourquoi tenter le mieux quand le bien est suffisant ? La peur n'est pas rationnelle, elle est instinctive, elle est protectrice. C'est notre instinct de survie. L'inconnu est d'office classé comme dangereux, et on le fuit.

Cette peur se combat à l'aide de la raison, c'est ainsi qu'elle se déconstruit. C'est une lutte avec soi-même durant laquelle on essaie de dompter son inconscient. Oui, la peur n'est jamais anodine, le danger sous-jacent est bien réel. Mais quel est il vraiment ? Est il si grand ? C'est sous l'angle de cette posture que j'ai, avec du temps certes, réussi à vaincre la peur d'entreprendre ce voyage. Non pas qu'il soit sans danger ou que je l'aborde de manière inconsciente. Bien au contraire, j'en ai pris la pleine mesure. Face à chaque doute, j'ai relativisé. J'ai rationalisé chaque étape. Et un jour, elle avait disparu. Plus aucune peur n'entravait cette entreprise. Il ne restait que l'adrénaline de l'envie de découvrir. Le risque de l'échec et de la déception sont toujours là, mais ils sont apprivoisés et acceptés. Je préfère les remords aux regrets, la page gribouillée à la feuille blanche, la mémoire à l'illusion. J'ai trop longtemps cédé. J'ai trop abandonné de projets. Ou du moins, je les ai rangés dans le rayon des rêves.

Le rêve, quel triste échappatoire. Une pseudo catharsis, une réalité virtuelle, une existence imaginaire. Un vide. Un rêve est fait pour être vécu. Pour être tenté. L'échec n'est qu'une étape possible sur la route. L'échec nous nourrit, l'erreur nous enseigne. Soyons fiers de ces cicatrices de nos vies. Tout cela rend encore plus belles nos réussites finales. La peur ne se vainc pas avec du courage. C'est juste une pensée qui nous entrave et à laquelle on accorde finalement trop d'importance. Il ne tient qu'à moi de la balayer et de profiter de ce que m'offre le reste de ma route.

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mardi 17 octobre 2017

L'oasis et le désert

Après une journée passée dans les avions, je rejoins Las Vegas depuis Chicago via Phoenix. Au travers des vitres du bus qui me mène de l'aéroport à mon hôtel, j'observe au loin sur ma gauche la skyline constituée de l'ensemble des casinos peuplant le strip, l'axe principal de la « ville du vice ». Le premier bâtiment qui se détache, c'est l'hôtel doré du Mandala Bay. Celui là même au cœur de la tragique actualité deux jours auparavant. Je n'irai pas sur les lieux de la fusillade, pas vraiment attiré par le côté voyeur de la chose. Je laisse les locaux à leur recueillement et leur pudeur. Hormis des messages de soutien sur les grands panneaux lumineux du strip. Le sujet ne semble pas avoir perturbé la vie quotidienne. Tout semble se dérouler normalement, la ville continue d'offrir son lot de divertissement. Show must go on !

Las Vegas c'est donc essentiellement une longue rue qui concentre vingt à trente énormes hôtel-casinos regroupant une multitude de restaurants, bars et salles de spectacle. Tout est fait pour divertir et permettre l'évasion. C'est une rue hors de la réalité. Un échappatoire le temps d'un soir, d'un week-end ou d'une semaine. Les casinos contrastent les uns avec les autres. Chacun mettant un thème en avant. Et forcement, ceux qui datent un peu ont aujourd'hui un côté kitch. Entre autres, il y a ceux qui jouent la carte de l'Italie et son côté élégance, raffinement et marbre-antique, comme le Bellagio, le Caesar Palace ou le Venetian. Il y a ceux qui sont plus dans les tropiques et l'exotisme comme le Rio ou le Flamingo. Et il y a bien sur le Paris et sa reproduction de la tour Eiffel.

Je profiterai de mon premier soir pour faire le tour du propriétaire. Chaque casino offre des enfilades de machines à sous et des successions de tables de black-jack et de roulettes. Mais ce que je recherche se trouve plus loin, dans un recoin reculé, presque caché : la poker room. Entre dix et vingt tables en fonction des établissements, très loin d'être toutes occupées. A côté de l'armée de bandits manchots c'est très maigre, ça m'a surpris. Les tenues des gens sont plutôt décontractées sauf au Bellagio où j'ai assisté à un défilé de costumes et de tailleurs. Entre son célèbre spectacle de jets d'eau et le fait qu'il ait servi de décor au film Ocean's Eleven, il doit cultiver un certain imaginaire dans l'esprit des gens.



Mon hôtel n'est pas sur le strip, il est à une petite demi-heure de marche. C'est le Silver Sevens. hôtel un peu défraîchi mais qui fera bien l'affaire. Il y a également un casino au rez de chaussée. La clientèle n'est pas la même que sur le strip, certaines machines proposent des mises plus petites ce qui attire une population plus « cheap », voire locale. Cette petite marche matin et soir me permet de poser une limite physique entre la partie « à vivre » et la partie « à divertir ». Je compte effectivement bien profiter de ces cinq jours que je me suis accordés à Vegas pour m'adonner au poker. Je ne vais pas décrire techniquement le contenu de mes cinq journées, ça ne parlerait qu'à une poignée d'initiés. Mais je vais profiter de l'occasion pour présenter un peu mieux la discipline et tordre le coup à certains clichés. Il s'agit avant tout d'un jeu combinant la stratégie, l'analyse de probabilités, la patience et le contrôle des émotions. Un combo dans lequel je ne suis pas trop mauvais. Alors oui, c'est aussi un jeu d'argent et un jeu de hasard, mais on reste loin du loto.

L'argent tout d'abord, il faut savoir sans détacher. On ne joue pas au poker pour gagner de l'argent. En tout cas ce n'est jamais la raison principale. L'argent est un étalon, cela permet de mesurer le niveau atteint. A mesure que les gains augmentent on peut changer de limite et jouer des parties plus importantes avec un niveau plus élevé. Et cela toujours en contrôlant les sommes mises en jeu par rapport au montant total. C'est ce que l'on appelle le Bankroll management. Il est primordial d'être à l'aise avec ça. Le joueur doit être détaché des sommes en jeu, cela doit pouvoir être appréhendé comme une perte possible et acceptable. J'ai commencé modestement en jouant des petites sommes sur des sites en ligne. J'ai rapidement fait fructifié ces montants. J'ai ainsi graduellement et méthodiquement monté de limite. Quand j'ai réussi à rajouter deux zéros derrière mon compte initial je me suis autorisé à jouer des parties live. Toujours avec le détachement des sommes en jeu. Par chance, mon premier essai s'est avéré très productif puisque j'ai fait finaliste de mon premier tournoi et multiplié par vingt la somme investie. Les expériences suivantes ont conforté mes convictions sur ma légitimité à ce niveau. C'est pourquoi j'aborde cette semaine à Vegas de manière décontracté. Un, je considère avoir le niveau de jeu. Deux, je suis en cohérence avec ma gestion financière : le montant investi n'est qu'une partie de ma bankroll poker et si je perd cette somme cela n'aura pas d'incidence sur mon état moral.

Le deuxième point est le hasard. Oui le poker est un jeu de hasard dans le sens où on est dépendant des cartes qui vont être retournées. Mais tout l’intérêt du jeu c'est qu'on peut mettre des probabilités derrière. Le poker n'est rien d'autre qu'une équation à de multiples inconnues: les cartes à venir, les gains potentiels, la range des adversaires (les combinaisons de cartes qu'ils peuvent avoir), l'image qu'on renvoie... Et finalement chaque action (se coucher, payer ou relancer) n'est qu'une réponse à cette équation. L'action qu'on juge la plus optimale. Évidement au coup par coup ça ne se voit pas, le hasard venant mettre le bazar dans tout ça. Mais à long terme c'est infaillible, ça paie. Le problème c'est que le long terme c'est long justement. Il faut être en capacité de l'accepter. Capable de voir les mauvaises cartes se retourner sans broncher. Cet écart entre probabilité et réalité c'est ce qu'on appelle la variance. Ce qui fait qu'en jouant très bien, on peut, sur une courte période, perdre de l'argent. C'est pourquoi, il est important de toujours jouer une partie minime de son capital pour pouvoir endurer ces « montagnes russes ».

Avant de m'attabler entre six et huit heures par jour, j'ai bien cela en tête. Je sais qu'il est possible que je joue de la meilleure des manières possibles pendant ces trente ou quarante heures mais qu'au final je perde de l'argent. Cela fait parti du jeu et je l'ai intégré.

Présentons maintenant le profil de mes adversaires, les gens que je vais côtoyer durant cette semaine. Il y a bien sur les touristes qui cherchent du divertissement et de l'adrénaline, du pain béni. Mais ce profil est très rare. Sur huit ou neuf joueurs à table, on ne compte qu'une personne de ce type. Le reste est composé de joueurs plus ou moins aguerris. Il y a les « anciens » qui jouent un jeu nit (sous entendu ultra serré). Ils jouent rarement, ils ne jouent que leurs grosses cartes et en misant fortement. C'est un profil très exploitable. Il suffit de les jouer avec une main à potentiel pour pouvoir les déstacker. Il y a ceux qui sont là pour jouer un maximum de mains, les calling stations. Ils rentrent dans les coups en limpant (en payant juste la mise initiale) puis en suivant les relances. Ils ont un jeu passif. C'est aussi un profil très exploitable contre lesquels on se fait payer nos gros jeux. Et enfin il y a les loose agressifs, ceux qui relancent une main sur deux. Un profil exploitable également mais à haut risque de variance. Contre ces joueurs on joue des gros pots, les cartes peuvent être avec eux sur le court terme. Il n'est pas rare de les voir doubler ou tripler leurs montagnes de jetons, mais en règle générale ça flambe, et ça se brûle. Le profil a repartir les mains vides.

Mais la grande majorité des joueurs adopte un profil tight aggressif. Mon jeu. A savoir jouer une sélection réduite de carte en fonction de plusieurs éléments (adversaires, position, tapis en jeu, action avant nous...) et la jouer de manière active et autoritaire. Face à ces profils, il faut être patient, jouer fin, attendre l'erreur. Il faut aussi savoir raconter des histoires, les fameux bluffs.

Je cherche à jouer des parties de mises 1-2$, pour rester dans ma gestion. J'élimine ainsi les « grands » casinos qui n'offrent que des parties supérieures (Aria, Bellagio, Wynn et Rio). Je commence donc ma semaine au Venetian, la plus grande poker room de Vegas. Je suis un peu paumé avec les us et coutumes à table. Je passe vite pour un « bleu ». Je joue de cette situation et rapidement les jetons filent dans ma direction. Ma première journée se terminera ainsi en positif. Tout est fait pour vous faire rester à table. Les croupiers sont très avenants, toutes les boissons sont offertes (il suffit de donner un pourboire à la serveuse), et on peut bien sur manger en jouant. Il y a également tout un système de jackpot pour les meilleurs mains jouées. A une de mes tables une joueuse a ainsi empoché 500$ en réalisant la meilleure combinaison possible: la quinte flush royale.

Ma deuxième journée ne démarrera pas aussi bien. Je décide de jouer au Caesar Palace, je m'y rends vers 10h. Le joueur en face de moi se pose derrière environ 1500$ en jetons. Le capital initial maximum possible est 300$. Aucun doute, il joue avec succès depuis la veille au minimum. Sa montagne de jetons l'autorise à jouer un jeu agressif. Je subis la situation et couche successivement des tirages manqués. Puis je retourne une paire d'as. La main idéale dans cette situation. J'ouvre mais il n'est pas intéressé. C'est mon voisin de droite qui rentre dans le coup. Le croupier retourne des cartes qui me semblent plutôt favorable (sans tirage possible) et me permettent d'aligner deux mises successives. Toutes deux payées. La dernière carte retournée fera une doublette du valet. Mon adverse prend l'initiative et mise tous ses jetons. J'ai 75$ à rajouter pour espérer en empocher 225$. Pour payer il faut donc que je gagne le coup une fois sur trois. Il faut donc que mes as soient meilleurs que le tiers des mains avec lesquelles il soit rentré dans le coup et suffisamment intéressé pour suivre mes deux mises et risquer tout son tapis. A froid, ce n'est pas le cas, je suis battu par trop de mains pour pouvoir payer. Mais à chaud, sûrement titillé par mon début de journée, j'ai biaisé mon raisonnement et j'ai donc offert ces 75$ à mon adversaire et son brelan de valet. Ce sera ma seule grosse erreur de la semaine.

Démuni de mes jetons, je quitte le casino et vais finir la journée au Bally's. C'est dans ce casino et son voisin le Flamingo que je terminerai ma semaine. On est dans le vieillot, l'ensemble est très clairement défraîchi mais l'ambiance est bonne, je sympathise avec les croupiers et les joueurs locaux. Je me sens très à l'aise, essentiel pour jouer son meilleur jeu. Malgré mon handicap matinal, je finirais également la journée dans le positif. Ainsi que les deux jours suivant. Une dernière journée sans grand succès m’empêchera de faire le grand chelem. Au final ce fût une semaine très plaisante que je n'ai pas vu passer.

Il est temps à présent de quitter cette oasis de son et lumière pour m'enfoncer dans le désert de l'Arizona et visiter les joyaux de l'Ouest américain. Première journée marathon. Je prends la navette de l'hôtel jusqu'à l'aéroport où je prends une autre navette vers le complexe des voitures de locations. Je récupère la mienne et file dans un point relais en ville pour récupérer mon matériel de camping, le temps de faire quelques courses et je prends enfin la route. Quatre heures plus tard j'arrive au camping, je monte ma tente en vitesse avant que la nuit tombe. Il est finalement 18h quand je me rends au point de vue le plus proche du Grand Canyon. Le soleil s'est couché, la nuit est en train de tomber, c'est donc au crépuscule et en petit comité que j'appréhende la « bête ». L'ampleur est impressionnante. Le canyon est profond, mais ce qui marque c'est son étendue, il fait entre vingt et trente kilomètres de large. Quand on sait qu'il fait plus de quatre cent kilomètres de long ça laisse imaginer le visuel de la cicatrice. Le lendemain je suis au même endroit aux aurores pour voir le soleil projeter ses rayons sur la masse rocheuse. Je profite ensuite de la fraîcheur matinale pour faire une des randonnées qui descend dans le canyon. Je ne prendrai pas le chemin classique qui part du village, mais un autre sentier plus à l'est. Un chemin plus cahoteux et plus abrupt. Les quatre heures d'effort aller-retour valent le coup. On ressent bien l'immensité du lieu en son coeur.









Le lendemain c'est Monument Valley qui est au programme. Superbe ballade en voiture d'une trentaine de bornes sur un chemin sablonneux au cœur de ces célèbres décors de western. On serpente entre ces immenses blocs rouges posés dans un désert terreux parsemé de mousses et de buissons. Le vent balaie le sol et tapisse les voitures de sable. Le soir, de la vue dégagée de ma tente, j'observerai le soleil se coucher derrière ces masses rocheuses.





Le lac Powell est ma prochaine étape. Admirable étendue marine au cœur d'un panorama aride. Sur la plage peu de monde, un couple et un groupe de canards. Sous un ciel sans nuage, je m'offre donc un moment de quiétude bercé par le bruit des vaguelettes et le ronronnement lointain des bateaux de plaisance. Je me baigne dans une belle eau d'un bleu profond. Encore une belle après midi hors du temps. Le camping, à deux pas, surplombe le lac. Alors que le soleil décline j'observe mes différents voisins allumer des feux de camps. La soirée est magnifique. A mesure que la nuit tombe, je regarde les flammes danser. Et au dessus de ces lumières vacillantes je profite d'un fabuleux ciel étoilée. Le murmure du lac est perceptible au loin. Il se mêle aux crépitements des feux de camps. Une légère brise chaude apporte une odeur de cendre. Un moment de grande sérénité.



Le lendemain je passe de l'Arizona à l'Utah. Sur la route, il n'est pas rare de croiser des corbeaux dépecer les corps d'animaux renversés par les voitures et laissés morts sur le bas côté. De mon côté mon menu du jour sera Bryce Canyon. Encore un superbe spectacle proposé par des milliers d'années d'érosion. Le temps, chronologique et météorologique, a creusé la roche et dessiné une immense forêt de pics. Un phénomène impressionnant que j'avais déjà observé en Anatolie. Plusieurs chemins de randonnée permettent de se balader au cœur de cette bizarrerie de la nature. On est à plus de deux mille cinq cent mètres d'altitude, ce qui impacte ma respiration lors de ma virée pédestre. Cela va également fortement influer sur ma nuit. Jusque là j'avais dormi avec des températures douces et clémentes. Mais cette nuit le mercure doit descendre jusqu'à -9°C. Je lance l'opération hibernation : j'enfile deux paires de chaussettes, mon bonnet et je m'engouffre, tout habillé, dans mes deux duvets (le mien plus celui compris dans mon matériel de location). La nuit sera finalement correcte. Le problème sera de trouver le courage de quitter ce cocon synthétique au petit matin. Je démonte ma tente sous un soleil aux rayons encore faiblards. Je dois lutter pour libérer mon dernier piquet prisonnier d'une terre dure et gelée. Dans la voiture, les bouteilles d'eau hébergent à présent de la glace. 





Je me mets en action et file vers le parc national de Zion. Encore un canyon forgé par l'épreuve du temps. Mais ici le minéral s'accompagne de végétal. Autour du ruisseau qui serpente dans le canyon, un forêt parée de couleurs automnales tapissent la roche rouge. Un sentier de randonnée vertigineux et sinueux permet d'atteindre un point de vue imprenable sur le parc. Le mercure affichant maintenant 25°C j'opte plutôt pour de petites randonnées à l'ombre des sapins. 35 degrés d'amplitude thermique en moins de six heures ! En fin de journée, je m'aperçois que ma tente à attirée la curiosité de deux jeunes biches qui se sont aventurés jusqu'à moi. Elles broutent dans un sérénité absolue, pas perturbées le moins du monde par l'activité environnante.




Lors de mon retour vers Vegas je m'offre une dernière tranche de désert en faisant un détour par la Valley of fire. Plus de canyon mais toujours cet environnement aride. Petite randonnée sympathique dans un univers proche de Mars ou Tatatouine à se balader sur du sable entre des roches zébrées rouge et blanche (comme une glace vanille fraise). Pour mon retour à Vegas je change de quartier. Je délaisse le strip pour downtown. Le quartier historique s'organise autour de la rue piétonne de Fremont et son « toit lumineux » façon Piccadilly Circus. Une dernière journée de poker pour constater que la chance m'a abandonné. Il est grand temps de changer d'atmosphère. Direction le Texas.