mardi 19 septembre 2017

La terre du milieu

Me voilà dans l'Utah, à Salt Lake City. Fraîchement débarqué de San Francisco, je récupère ma voiture de location à l'aéroport. En un rien de temps je suis largué au milieu de routes à cinq voies et de bifurcations dans tous les sens. Heureusement, le temps de sortir de l'agglomération et je retrouve des routes à taille humaine. La visite de la ville n'était pas au programme, pas le temps de saluer Rudy Gobert (basketteur français des Utah Jazz). Je file tout droit au nord vers l'Idaho et Idaho Falls où je passerai la nuit. Puis cap à l'est vers le Wyoming et le parc du Yellowstone. Avant cela je traverse le parc du Grand Teton qui m'offre un bon apéritif en la matière. Je suis de retour en pleine nature.



Je retrouve l'ambiance canadienne : un grand lac aux pieds de montagnes, le tout décoré de sapins. Seul l'herbe jaunie vient ajouter une autre couleur à la palette. A l'image des écureuils peu farouches, je découvre les gros corbeaux (ravens) se promenant nonchalamment sur le toit des voitures. Le parc se traverse assez rapidement, d'autant plus que je m'interdis encore les grandes excursions. Viens donc ensuite le plat de résistance, le parc du Yellowstone. Je passerais la première nuit à Grant Village. Les logements étant très chers dans et aux abords du parc j'ai fait le choix de séjourner à l'intérieur mais au camping. Économie d'argent mais aussi de temps. Par contre je m’essaie au camping sans tente. Je vais dormir dans la voiture. Je rabats les sièges et m'installe dans mon duvet. Évidemment c'est pas très plat mais j'arrive à m'étendre entièrement. Je commence à me demander si j'ai fait le bon choix en terme de confort. La réponse va tomber du ciel, sous forme de petits grêlons puis d'une pluie battante. Les gouttes martèlent la carrosserie. J'observe au travers de la buée les gens courir en tout sens. Tout d'un coup je trouve ma position plus confortable. La nuit sera correcte bien que fraîche. En allumant la voiture au petit matin, le compteur affiche 40° Fahrenheit, ce que je traduis à 4° Celsius ( je sais que 32°F équivaut à 0°C et 50°F à 10°C).

L'avantage de dormir dans la voiture, c'est qu'on est vite opérationnel. A 7h j'étais déjà sur les routes et j'ai pu profiter quasi en solitaire de mon début de journée. Un moment que j'ai partagé avec une jeune biche qui prenait son petit déjeuner, tranquillement, en bordure de lac. Ma première journée au Yellowstone sera sur la partie géothermique. Je vais enchaîner les différents geysers, remous boueux, champs de fumerolles, bains bouillants, sources d'eaux chaudes fumantes et autres merveilles de la nature. Avec des niveaux de couleurs incroyables allant du bleu azur à l'ocre en passant par le beige, le vert, le noir, l'orange déclinée en version saumon, rouille ou vermeil. Les sources d'eaux chaudes sont impressionnantes. D'un bleu limpide, elles laissent apparaître des profondeurs abyssales. De véritables puits marins qui n'inviteraient qu'à la baignade si on n'était pas freiné par l'idée d'être brûlé vif.







L'attraction de ce secteur c'est Old Faithfull, un geyser qui s'anime environ toute les heures et balance dans les airs un jet d'une quarantaine de mètres. Évidemment, tout le monde attend ça avec impatience, en demi cercle et sous une farandole de parapluies. Le geyser va cracher de l'eau pendant trois bonnes minutes avant de retrouver sa torpeur fumante sous les applaudissements d'une partie de l'assistance qui visiblement souhaite remercier dame nature pour le spectacle offert.




La deuxième nuit a été nettement plus fraîche que la première, je me suis paré d'une couche supplémentaire de vêtements en anticipation. Pour fuir le froid, je me mets en action vers 6h30, je démarre la voiture sur une route détrempée et encore plongée dans le noir. Le programme du jour se trouve au nord du parc, un environnement plus sauvage agrémenté de canyons, de chutes d'eaux et des sources d'eaux chaudes de Mammoth. A peine ai je commencé à gravir les pentes du Mont Washburn que je fais face à une forêt blanche. Sur les hauteurs il a neigé, j'avance prudemment sur une route restant toutefois correctement praticable. Je ne suis pas le seul lève tôt, je croise une paire de voitures mais également un bison venu brouter de l'herbe gelée en bord de route, pas gêné le moins du monde par la situation climatique. Ce panorama quasi désert d'armées de sapins couverts de neiges dans une lueur encore très faiblarde me renvoie à l'imaginaire de Skyrim ou encore de Winterfell. De retour dans la plaine, c'est la pluie qui m'accompagnera toute la journée. Le parc est très sauvage, il est assez facile d'observer des animaux, bisons ou élans. Ces derniers se baladent même en ville, perturbant légèrement le trafic routier.


 



La dernière nuit sera encore plus froide puisque je me couche en regardant la neige tomber sous une température proche de 0°C. Il n'y a plus de tentes sur le camping. Il ne reste que des campings cars, des caravanes, des vans ou des voitures aménagées. Je me lève aux aurores et mets la voiture en marche pour me réchauffer. J'ai une trentaine de kilomètres à faire ente Canyon Village et Lake où je bifurquerais pour sortir du parc. Ce fut une courte distance exceptionnelle. La nature sauvage est figée dans le givre matinal. On longe la rivière Yellowstone où quelques canards s’ébrouent au travers d'une fine vapeur d'eau. Les points de vue s'enchaînent sur les paysages enneigés, et de nombreux photographes munis d'un attirail de compétition (téléobjectif, jumelles, trépieds...) sont de la partie. Au loin on entend les cris d'animaux. Mais ce qui m'a le plus marqué ce sont les bisons. J'ai pu en voir au bas mot une centaine, en différents troupeaux, au loin dans les prairies enneigées ou directement en bord de route. Vers 7h30 j'arrive à Mud Volcano, je serais la première voiture sur le parking et le premier à laisser des traces sur la neige fraîchement posée sur la promenade en bois. Premier humain, car je découvre des traces d'écureuils et de biches par endroits. Époustouflant de voir ces eaux chaudes doucement fumer dans un panorama blanchi et gelé. Une fois ma boucle effectuée, je reviens sur le parking. Ma voiture est toujours la seule stationnée, mais elle est sous bonne garde puisqu'une dizaine de bisons se trouvent à proximité. Je jette un regard au loin et j'en vois une dizaine d'autres se balader sur la promenade en bois, la même sur laquelle je marchais un quart d'heure auparavant. Ils doivent sûrement vouloir profiter du spectacle également. Je regagne discrètement mon véhicule et laisse tout ce beau monde à leur activité touristique.








Une fois arrivé à Lake, mauvaise surprise, un ranger m'informe que la route sortant du parc est fermée à cause de la neige. J'ai prévu de me rendre à Sheridan à cinq heures de route de là. Je patiente donc une éventuelle réouverture en milieu de matinée. Vers 10h30, le ranger m'indique qu'il neige encore et que la route pourrait ouvrir sous une heure comme pas du tout. Je prends la décision de faire un détour. Deux heures de plus en passant par le nord du parc puis le Montana ou trois heures supplémentaires en prenant par le sud et le Wyoming. Le nord étant montagneux, je ne suis pas certain de ne pas rencontrer les mêmes problématiques sur la route. Je décide donc de prendre le détour au sud. Me voilà parti pour huit heures de route dans le Wyoming. Je quitte donc le parc par l’accès sud, le même par lequel j'étais rentré. En dehors du Yellowstone, le Wyoming abrite une partie des Rocheuses et me propose donc du relief. Ma longue route ne sera pas monotone. Le paysage va changer sans cesse: forêts enneigées, vallons herbeux, routes encaissées, roches rouge, plaines quasi désertiques, routes de montagne. Pluie, neige, soleil, brouillard. Très peu d'habitation, l’État est très sauvage et est également le moins peuplé des États-Unis avec moins d'un demi million d'habitants. Population très éparse qui se regroupe dans de tout petit villages de mille ou deux milles habitants. Peu de maisons en dur, beaucoup de logement en bois et en tôle, beaucoup de caravanes également. Les hameaux traversés nous accueillent par une ribambelle de drapeaux nationaux fièrement accrochés aux commerces sur des façades très « Far West moderne ». On croise des pick-up avec des drapeaux sudistes, des carabines posées sur les plages arrières des véhicules, des pancartes d'appels aux dons pour les vétérans, des églises boisées en pagaille. Bref, Trump a fait 70% dans le Wyoming.






En fin de journée, j'arrive à Sheridan et je rejoins l’autoroute « interstate » 90. Autoroute que je vais littéralement habiter pendant trois jours, le temps de traverser deux Etats supplémentaires (South Dakota et Minnesota) avant de rejoindre le Wisconsin. Je ne vais pas quitter cette double voie qui file en ligne droite sur un un paysage devenant de plus en plus commun. Un asphalte gris pâle et usé qui se déroule au cœur de plaines offrant une herbe jaunie et quelques buissons. Tous les quinze ou vingt kilomètres, une sortie est possible. Une route partant au sud et l'autre au nord, vers je l'imagine des endroits encore plus perdus. On est vraiment au centre du pays, dans le no man's land. A ces carrefours routiers, on retrouve une station service qui fait alimentation. Je ferais « escale » dans des villes de rêves telles que Rapid City, Sioux Falls et La Crosse. L'occasion de goûter aux joies de l'hôtellerie américaine et de ses fameux motels posés en bord de route. Ne soyons pas mauvaise langue, le confort est là et pour des prix tout à fait honorable. Le seul truc qui m'a fait tiquer c'est la présence systématique d'une bible sur la table de chevet. Une religion, un drapeau, une arme. Make America great again comme dirait l'autre. Et à coté de ces motels on retrouve les enseignes de restaurations. Toujours les mêmes, je finis par les retenir (Arbys, Taco Johns, Burger King, Mac Donald's, Subway, Wendy's, Pizza Hut, KFC...).


A mesure que je chemine sur la longue langue de bitume, je m'étonne de ne pas voir de radar. Et pour cause, ici on fait ça à l'ancienne. Les voitures de police sont postées en bord de route. Dés qu'elles repèrent un excès de vitesse, elles prennent le fautif en chasse. Je n'ai pas vu de course-poursuites mais j'ai vu de nombreux contrevenants arrêtés au bord de la chaussée, une voiture de police toutes lumières allumées garée juste derrière. Je me suis limité à cinq heures de conduite journalière. Ce qui me laisse du temps pour prendre la température de la vie locale dans ces villes posées au milieu de rien. Je suis notamment allé faire ma lessive dans une de leurs immenses laveries. Pas ou peu de machines à laver individuelles aux États-Unis. On va à la laverie. Une immense pièce abritant une quarantaine de machines à laver et une trentaine de sèche-linges. On y vient en famille, on y rencontre ces voisins, on discute, on passe le temps en regardant la TV. Il y a plus qu'à rajouter une tireuse et ça devient un pub.

Sur ce long trajet je me suis accordé un petit détour par les Black Hills, forêt vallonnée et plantée de hautes roches grises. Cela fait plaisir de retrouver un oasis de verdure dans ce désert végétal. L'endroit est très agréable mais est surtout réputé pour le Mont Rushmore en son sein. Le fameux mont où sont sculptés les visages des quatre plus emblématiques présidents de la nation. Il est vrai que l’œuvre en impose, on ne peut qu'admirer la prouesse technique. Un musée au pied du mont nous permet de revivre la réalisation de la sculpture et bien évidemment, nous permet également sur un ton très patriotique de parcourir l'histoire de la constitution de la nation des États-Unis. Au delà de la beauté de la réalisation, tout cela interroge quand même sur la motivation et l’ego derrière l'entreprise. Comme si des monuments et des statues n'était pas suffisant, on s'est dit qu'on allait carrément défigurer la nature pour la marquer de manière indélébile et laisser une « trace ». Avec du recul, cela me paraît tout aussi puéril que d'écrire son nom au cutter sur une table en bois au collège.


La chlorophylle, les champs de maïs, les arbres et les exploitations agricoles sont réapparus dans le Minnesota. Puis finalement, l'interminable route a surplombé l'impressionnante rivière du Mississippi et me voilà à La Crosse, porte d'entrée du Wisconsin où j'ai prévu de finir le mois de septembre.

lundi 11 septembre 2017

Triptyque de la côte ouest américaine


Seattle
Le grunge, Nirvana, Les Sonics de Kemp et Payton. Une part de ma jeunesse. Une certaine idée d'une Amérique alternative loin des classiques New York et Los Angeles. Une ville dynamique, siège de Boeing, Microsoft ou Amazon. Et à la fois un des berceaux du mouvement altermondialiste. Bref, surnommée Emerald city ou Rainy city, Seattle a de quoi attirer la curiosité et mériter une escale voire des nuits blanches.



Je réside dans le quartier de l'université (U-District), au nord-est. L'université de l'état de Washington est magnifique. Fidèle à l'image d'un campus américain que peut nous renvoyer le cinéma. De très jolis bâtiments en briques rouges dans un parc richement arboré et doté d'une belle fontaine. La principale rue du quartier (University street) est bordée de tout ce que la junk/fast food américaine peut offrir (des burgers aux pizzas en passant par les shawarma, les mexicains, les coréens, les indiens, les thaïlandais...). Finalement peu de bars, les étudiants doivent sortir dans le centre ville j'imagine. Je rentre dans le premier pub sur ma route. Nous sommes vendredi, en début de soirée. Je tombe sur une marée d'étudiants tout de violet vêtus les yeux rivés sur les écrans. Les Huskies, l'équipe de football américain de l'université (une des dix meilleures du pays), joue son premier match de la saison, à l’extérieur. Je commande une bière et profite de l'ambiance et de la victoire des « violets ». 



Niveau football américain, la ville accueille également une des meilleurs équipes de la NFL : les Seahawks (vainqueur du superbowl en 2013). Je fais le tour du Century Link Field, leur antre partagé avec l'équipe de soccer locale. Un stade ouvert en forme de bateau qui accueille un des plus fervent public de la ligue, un endroit mythique de ce sport. Les Mariners, l'équipe de baseball joue dans le stade voisin, une franchise historique également.


Seattle est assez similaire je pense à ce que l'on peut trouver dans une ville américaine : un quartier ancien (pioneer square) où l'on peut observer de jolis petits bâtiments à l'architecture soignée suivi du cœur de ville a proprement parlé (Downtown) et ses grands buildings. Seattle se distingue par deux particularités : le Pike Market et le Space Needle. La ville abrite en effet, autour de Pike street, un vieux marché sur plusieurs niveaux dans un bâtiment très « pop » où on peut se procurer toute sorte de choses (des fleurs, du poisson, des objets vintage...). En bordure du marché, des queues colossales se forment à l'entrée des divers restaurants. De quoi me décourager de goûter aux spécialités locales bien qu'alléchantes.


Le Space Needle c'est le monument emblématique de la ville. Une grand tour en fer surplombée d'une espèce de soucoupe. De prés, c'est relativement moche (question de goût) non sans me rappeler la laideur de l'Atomium de Bruxelles (question de goût). Ma visite de Seattle se déroule en même temps je suppose qu'un salon sur le jeux vidéo. Ce sont l'armada de geeks arborant le même pass autour du cou et le défilé de gens déguisés qui m'ont mis la puce à l'oreille. C'est pas tous les jours qu'on prend le métro avec les personnages de final Fantasy VII. 



Portland
Plus au sud, à trois heures de bus, Portland dans l'Oregon.
Comme Seattle, une histoire de moins de deux siècles et autour de deux millions d'habitants dans l'agglomération. Mais ici, ce n'est pas la même ambiance.


Je descend du bus et suis frappé par la chaleur étouffante de cette fin d'après midi, le baromètre frôle les 40 degrés (celsius, ceux de chez nous). Un voile poussiéreux est posé sur la ville, il limite le regard et agresse les bronches. Le soleil tape fort mais le ciel est gris. Mes premiers pas se font dans un quartier calme et relativement désert. J'ai subitement l'impression d'avoir changé de pays. A chaque coin de rue, sous chaque pont, quasiment sous tous les porches, des sans domiciles fixes. Posés sur des cartons, à même le sol, dans des abris de fortunes, seuls ou en petits groupes, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, de toutes origines, plus ou moins habillés, plus ou ou moins en bonne santé, c'est une véritable armée qui peuple Portland. A Seattle, il y en avait quelques-uns mais ici c'est le rassemblement. On a renoncé à les chasser ou les aider. On s'est résigné à vivre avec. C'est ça les Etats-Unis, derrière les grandes success story, l'imaginaire de paillettes, les grandes villes aux fiers buildings et aux voitures rutilantes, on retrouve les laissés pour compte. Les abandonnées de l'usine à rêve, les accidentés de la vie, les inadaptés au système. Ceux pour qui l'Amérique ne peut plus rien. Des gens que même la raison semble avoir abandonnés et qui errent dans la ville comme dans un monde parallèle dans des accoutrements improbables et en tenant des discours d'illuminés. Le soleil cogne fort sur le bitume. Le sac plombe sur mon dos humide. La chaleur fait ressortir par endroit une forte odeur de détritus et d'urine. Portland n'est pas joli.

La ville n'est pas moche pour autant. Elle a son charme qu'il faut savoir observer. C'est une ville industrielle aux grandes usines posées le long de la rivière Willamette qui est elle-même enjambée par de nombreux ponts en fer. On retrouve à l'est de la ville, dans la partie entrepôt/atelier, la même essence que j'avais pu observer à Bushwick. Une cohabitation entre activité industrielle et mutation d'entrepôts en bars, micro-brasseries et autres lieux créatifs. Je n'ai malheureusement pas eu le temps d'appréhender l'ensemble le soir ou le week-end mais je suis sur qu'il y a bon nombre d'endroits cools et dynamiques qui justifient l’intérêt qu'on prête à cette ville.


En touriste de base, j'ai arpenté le Washington Park à l'ouest, grand espace de verdure sur une colline qui surplombe la ville. Le parc abrite divers centres d’intérêts (zoo, mémorial, jardin japonais...) dont un grand jardin aux roses qui vaut à la cité le surnom de ville aux roses (et non pas ville rose). En redescendant je passe devant le stade de l'équipe de soccer (les Timbers). Une belle enceinte creusée offrant un style architectural proche de ce que l'on peut apprécier outre-manche. Je m'arrête à la librairie Powell's, un établissement qui s'étend sur tout un bloc d'immeubles et se développe sur quatre niveaux. A l’intérieur, des allées impressionnantes de bibliothèques en bois où l'on trouve absolument tout type d'ouvrage, neuf ou ancien. Je m'arrête à l'espace des livres en français pour me réapprovisionner (depuis que j'ai du temps libre j'ai pris cette manie de lire). La ville abrite une chaîne de magasins de donuts (Voodoo Doughnut). Vu les longues queues devant les boutiques et le nombre de personnes se trimballant avec les boites roses à l'effigie de l'enseigne je présume qu'il s'agit d'un produit de qualité. Je ne testerai pas (j'ai horreur de faire la queue). En soi la ville de Portland n'a pas d'autre grande originalité, on y retrouve un ensemble de buildings, un quartier ancien et un quartier chinois (avec un très joli parc). Quand on se pose un peu, dans un parc ou dans un café, on sent une ville habitée et dynamique. Les enfants ont repris le chemin des écoles et chahutent dans les bus. On promène son chien, on s'exerce au skate ou à la guitare, on prend le temps de discuter sur le trottoir. On est détendu, et ça se voit.


 

San Francisco
Pour rejoindre la Californie et San Francisco je décide d'opter pour le bus et un trajet de 15h. L'expérience canadienne ayant été concluante. On part donc de Portland vers 18h30, le premier arrêt est en banlieue, une heure plus tard, en gare de Salem. Au moment de redémarrer, le bus fait un bruit épouvantable. Le système électrique disjoncte et une épaisse fumée se forme dans la cabine du chauffeur. Sourire général, mais à l'odeur de cramé qui inonde le bus, chacun préfère gentiment se hâter de descendre. Le chauffeur essaie de nous rassurer (et de se rassurer lui-même) en nous disant que ce n'est que de la poussière de frein. Puis après un conciliabule avec sa direction au téléphone, il nous annonce se rallier à la prudence et attendre un nouveau bus. Nous passerons donc trois heures en bordure de quai de cette petite gare à regarder le soleil se coucher. Je discuterais avec deux français partis, un peu comme moi, en expédition en Amérique du Nord. Ils ont démarré par l'Alaska (qui était initialement à mon programme) puis ont fait les mêmes étapes que moi au Canada.
A 23h, le deuxième bus arrive et nous nous engouffrons à bord. Mauvaise surprise, celui-ci ayant été affrété en urgence, la vidange des toilettes ne semble pas avoir été faite. En tout cas une odeur désagréable de WC chimique envahit et imprègne l'habitacle. Un tour de cadran plus tard et peu de sommeil au compteur, nous sommes déposés à Sacramento pour la correspondance. Avec 4h30 de retard, évidemment on l'a ratée. Ainsi que la suivante d'ailleurs, de peu. Finalement, après un repas (enfin un burger-frite) gracieusement offert par la compagnie, je peux prendre le dernier bus de ce périple de prés de 24h entre Portland et San Francisco.


En arrivant sur la baie et en empruntant le pont reliant Oakland à San Francisco je découvre une ville plongée dans la brume. Phénomène fréquent paraît-il l'été où la chaleur transforme les eaux froides venant de l'Alaska en brouillard. La deuxième chose qui me marque c'est la proximité de l'île d'Alcatraz. Çà ne se fait peut-être pas à la nage, mais elle est assez visible du pont que je traverse. Une fois déposé au dépôt de Greyhound, il me faut encore prendre un bus local pour rallier l'ouest de la ville. Je traverse, en compagnie des locaux qui ont fini leur journée, le quartier chinois puis le quartier japonais pour finalement arriver dans mon quartier pour quatre jours, le quartier... russe. Une fois mon paquetage déposé je file dans le pub irlandais que j'ai repéré en descendant du bus pour pouvoir premièrement savourer une bière au combien méritée et surtout pour deuxièmement regarder le match d'ouverture de la saison NFL. Un plaisir en tant qu'amateur de ce sport de pourvoir assister à cela à une heure convenable et dans un pays de passionnés. Dans le bar l'ambiance est très bonne, les supporters des champions en titre (les Patriots) assistent à la défaite surprise de leurs protégés et se font gentiment chambrer par le reste du bar.

Depuis mon séjour à New York, les kilomètres à pieds ont défilé. Ceux avec 15kg sur le dos ont sûrement compté triple. En tout cas, je ressens fortement une douleur aiguë au tibia. Mon voyage étant encore long, il faut se ménager un peu. Bref, c'est comme ça que je me suis retrouvé à bord d'un bus touristique à faire le tour de la ville. Finalement c'est un bon compromis car ça permet de voir l'ensemble des points d’intérêts (assez éloignés les uns des autres à San Francisco) tout en pouvant descendre du bus régulièrement pour s'aventurer hors des sentiers battus.

Aujourd'hui également le temps est brumeux. Le brouillard se concentre sur la partie côtière. Aussi, en se rapprochant de l'emblème de la ville, le Golden Gate Bridge, la température baisse et le crachin s'épaissit. En haut du bus à impériale, c'est exposé à l'ardeur d'un vent frais que j'aperçois le célèbre pont rouge. Le sommet de l'ouvrage est noyé dans le brouillard. C'est dans une ambiance typiquement londonienne qu'on le traverse. Malgré la faible visibilité cela reste un très joli pont. Aussi joli que celui qui relie la ville à Oakland mais qui doit avoir le défaut de ne pas être rouge.

 

Loin des grattes ciels, il est plaisant de traverser les différents quartiers composés de vieilles maisons victoriennes aux tons pastels. Un vrai mélange d'ambiance anglaise et espagnole. Le coté rétro de la ville est assez agréable et donne vraiment envie d'y flâner. San Francisco est une très jolie ville, très vallonnée. Tellement, qu'en haut de Lombard street, une route en zigzag a été aménagée pour adoucir une pente initiale de 26°. Bien évidemment c'est une attraction locale. Ah, je l'ai repéré de loin, il suffit de suivre les troupeaux armés de smartphones et/ou d'appareils photos autour du cou et des les voir mitrailler la jolie petite ruelle végétalisée. Des fois cela en est à se demander où est le vrai spectacle à regarder. Car évidemment les gens débordent des trottoirs, se prennent en selfie au milieu de la route et ce d'ailleurs sans se respecter les uns les autres. A l'époque de la photo argentique cela devait être plus calme.


Je vais clore ma journée la dessus. Mon quartier russe étant qu'en même à trois quart d'heure du centre ça me fait de jolis aller-retours quotidien. Le premier matin où j'ai pris le bus, j'ai chaleureusement été accueilli par un chauffeur noir, un léger embonpoint, la cinquantaine approchante, une casquette noire des 49ers vissée sur la tête. En fait, il a fait comme ça avec tous les passagers : sourire, signe de la main, blague. Et ces derniers lui rendaient bien. D'ailleurs j'ai vite compris que beaucoup le connaissait. Ils étaient d'ailleurs nombreux à s'enquérir de sa santé. J'en ai déduis qu'il avait du être absent un long moment. Mais il leur répondait avec un grand sourire que tout allait mieux et qu'il n'avait rien lâché (« I don't give up »). Le gars aime son métier, ça se voit et sincèrement ça met bien la pêche en début de journée. Le trajet en bus étant généralement un temps individuel que chacun partage avec son smartphone. Lui il a crée une atmosphère collective. Cette ligne c'est la ligne 1, une ligne très fréquentée avec environ un bus toutes les dix minutes. Ils doivent être trente ou quarante chauffeurs à la parcourir. Et bien le deuxième jour, à une heure pourtant différente, je suis tombé, avec un grand plaisir, sur le même chauffeur. Et j'ai assisté réjoui au même spectacle.

Je vais pousser au delà du centre ville et me rendre de l'autre côté de la baie, à Oakland. J'emprunte le réseau de train et je me dirige vers le Coliseum qui abrite l'équipe de football des Raiders et l'équipe de base-ball des Athletics, objet de ma visite. Pour être complet, les Golden State Warriors (champion NBA en titre) évolue dans l'Oracle Arena qui touche le stade. Ce sont les trois franchises de la ville. Le stade est vétuste mis fonctionnel et se situe aux abords d'un quartier assez moyen. L'équipe de football était d'ailleurs en tractations avec la Ville pour disposer d'un nouveau stade. Les négociations n'ayant pas abouti, l'équipe s'apprête à déménager pour Las Vegas. Tout un programme. Mais aujourd'hui c'est le base-ball qui est à l'honneur, les A's reçoivent les Houston Astros pour non pas un mais deux matchs qui vont s’enchaîner (à quatre heure la prestation je n'assisterai qu'au premier, comme beaucoup de spectateurs d'ailleurs). Il faut dire que chaque équipe joue plus de 160 matchs par saison. Les A's sont une équipe assez reconnue qui est d'ailleurs au cœur du film Le stratège avec Brad Pitt (j'avais beaucoup aimé. De toute façon dés qu'on me parle de stratégie et de sport...). En ce début d'après-midi le stade est très loin d'être plein. On doit être autour des 10.000 à en juger l'aspect clairsemé des gradins, mais l'ambiance est bonne. Les gens viennent en famille pour passer du bon temps. Avant le match nous avons droit au traditionnel hymne national que tout le monde reprend debout, la main sur le cœur. Enfin pas tout le monde, des jeunes filles, noires, assises derrière moi ne se sont pas levées et l'ont même ostensiblement fait remarquer. Je ne suis pas surpris, il faut savoir que l'ancien quaterback de l'équipe voisine de San Fancisco, Colin Kaepernick, a montré l'exemple en posant le genou au sol durant l'hymne à l'occasion d'un match. Il voulait protester contre les violences policières faites au noirs. Depuis il a fait des émules mais aussi beaucoup divisé. Le système a tranché, il ne retrouve aujourd'hui pas d'équipe. Il est officieusement blacklisté par un business qui n'aime pas les vagues. Le match en lui-même sera assez divertissant et verra la large victoire des locaux 11 à 1.


Je terminerais mon séjour à San Francisco par une visite de la célèbre prison d'Alcatraz. Après un court trajet en ferry (je confirme que l'île est vraiment toute proche) on est accueilli par une nuée de mouches. De l'île on peut profiter du temps ensoleillé et dégagé pour observer le Golden Gate à l'horizon. Fermée depuis 1963, l'édifice carcéral est resté dans son jus, et la visite très bien conçue permet de bien s'imprégner de ce que pouvait être la vie d'un détenu entre les cellules, le réfectoire, la cour commune... En situation, à l'aide de l'audioguide, on visualise bien comment on pu s'élaborer les différentes tentatives d'évasion.



Après la nature canadienne, ma première semaine américaine a été très urbaine. Je ne suis pas mécontent de poursuivre mon périple sur une autre tonalité. C'est ce que je me dis en prenant la route de l'aéroport avec comme prochaine destination Salt Lake City.

article suivant: La terre du milieu
article précédent: Vancouver, le Pacifique de sève et de sable