vendredi 5 janvier 2018

Chili, terre de contrastes


Finalement quinze jours après être entré dans le pays par la route australe terreuse, après avoir remonté la Patagonie, après avoir traversé l'île de Chiloé, après une séjour de Noël dans les régions des lacs et après une dernière nuit de bus j’atteins enfin la capitale, Santiago. La ville est frappée par le soleil et est entourée de montagnes désertiques, ce qui donne un petit côté Las Vegas. Une très sympathique ville malgré la chaleur étouffante. Du haut du cerro San Cristobal, on profite d'une superbe vue à 360° sur la ville. La visite se poursuit agréablement autour du marché central, de la plaza des armas richement arborée et encombrée, du palacio de la moneda et de son immense drapeau chilien, du cerro Santa Lucia et de son fort transformé en parc, des rues piétonnes animées. De retour à mon hôtel, en fin de journée, je me penche sur la suite de mon parcours et jette un coup d'œil rapide à mes billets d'avion pour l'île de Pâques. Surprise, le mail de confirmation que j'avais reçu n'en était pas un. J'ai mécaniquement archivé un mail de refus. Je n'ai donc pas de billet d'avion. Il n'y aura donc pas d'île de Pâques au programme. La stupéfaction passée, place à l'organisation d'urgence. Le réveillon est dans deux jours. Parmi tous les gens que j'ai croisés ces derniers jours sur la route, nombreux sont ceux qui ont planifié de se rendre à Valparaiso pour le passage à la nouvelle année. C'est effectivement une destination privilégiée pour le réveillon. Son feu d'artifice est un des plus réputé d'Amérique du sud. Je décide donc de me joindre au mouvement.










Le lendemain au lieu d'aller à l'aéroport je me rends donc à la gare routière et monte dans le premier bus pour Valparaiso. La magie du voyage nous amène à prendre des routes auxquelles on n'avait pas initialement pensé. Je vais vivre une autre réalité. Mon souci administratif est le début d'une autre aventure. Depuis que je voyage, je suis dans un état assez serein, et je ne vois donc à l'instant que les aspects positifs de ma situation actuelle. Je me projette sur la découverte de cette ville atypique. La déception de ne pas pouvoir découvrir les moaï ne se fait même pas ressentir. Une heure et demi plus tard, me voilà au bord du Pacifique, je traverse la ville pour me rendre dans le quartier populaire du port où se trouve mon auberge. Arrivé à l'adresse indiquée, je tombe devant une façade jaune sans inscription. La porte est entrouverte, je rentre. Je suis accueilli par Juan, le gérant, un solide chilien de mon âge et Unay son jeune berger allemand. Je le surprends en plein travaux. Juan m'explique qu'il a fermé pendant un an et qu'il vient juste de rouvrir aujourd'hui. Je suis donc le premier client de l'année. On se pose un peu pour discuter. Tout en se roulant un joint il m'explique également qu'il souhaite vendre l'auberge d'ici février-mars pour partir faire le tour de l’Amérique du Sud en van avec son chien. Voilà une belle introduction, je pense, à ce qu'est Valparaiso. Je pose mes bagages et me jette à la découverte des charmes de cette ville si particulière. Ancien haut lieu portuaire avant la création du canal de Panama, la ville se divise entre sa partie plane (le port et le quartier central) et une succession de cerros. Chacun de ces petits monts constitue un quartier à part entière. Il faut se faufiler entre les routes sinueuses, gravir les escaliers cachés, emprunter de vieux funiculaires pour découvrir l'ambiance si particulière de ces amas chaotiques de maisons bariolées. Valparaiso est LA ville du street art. Il y en a partout. A mesure qu'on se laisse perdre dans les dédales on capte l'énergie des lieux. C'est une ville bohème, très populaire, très brute. On est en pleine authenticité. Cette énergie n'a pas encore été mercantilisée. Pas étonnant que Pablo Neruda y soit venu puiser son inspiration.









En haut d'un des nombreux points de vue de la ville, je tombe sur deux françaises (Lise et Camille) que j'avais croisées à Castro et avec qui j'avais partagé le repas fruit de mers de notre hôte Miguel. On récupère une de leur colocataire d'auberge et, pour clôturer la journée, on va se boire un verre sur une des multiples terrasses qui surplombent la ville. Je profite de mon pisco sour tout en contemplant le soleil se coucher. Et dire que hier soir mes pensées étaient encore tournées vers l'île de Pâques. Vers minuit je rentre à l'auberge. En passant le seuil je tombe sur Juan en train de prendre l'apéro avec deux amies (Yoyi et Claudia) à lui venues de Santiago pour le réveillon. Il me propose d'aller boire un verre avec eux. Me voilà donc en train de faire chemin inverse. Il m’amène dans un un bar local typique (une sorte de mélange entre les bars toulousains du Txus et du Nain Jaune) où je pourrais encore mieux m'imprégner de cette ambiance qui flotte en ville. Le lendemain au détour d'une rue je retombe sur les françaises. Décidément. Nous passerons la journée ensemble à arpenter le relief porteño, à contempler les fresques murales et à déambuler dans le centre autour du marché principal. 











Finalement, voilà le dernier jour de l'année. L'auberge affiche maintenant complet. Valparaiso c'est trois cent mille habitants à l'année, mais aujourd'hui ce sera deux à trois millions de fêtards. Je sympathise avec François, un lensois (professeur à Brasilia) qui a regagné ma chambre. Après une rapide restauration en ville, nous attaquons l'apéritif dans la salle commune de l'auberge. Piscola au programme (Pisco avec du Coca). Nous sommes rapidement rejoints par l'ensemble des autres occupants (Juan et ses deux amies chiliennes, une hollandaise, une londonienne, une brésilienne, un américain du Montana et une américaine de Baltimore). Vers 23h, Juan propose à toute la petite bande de se diriger vers la place Sotomayor, sur le port, pour profiter du feu d’artifice et des concerts gratuits. Alors que nous allons nous mettre en marche, deux jeunes bavarois lestés de leurs gros sacs (assez dans la caricature) se présentent devant l'auberge. Ils ont une réservation. Mais je vois à la tête de Juan que ça va être compliqué de les caser. Pendant que Juan et les deux allemands palabrent pour trouver une solution, la petite bande enchaîne les photos de groupes. Décalage d'ambiance. Finalement après qu'un arrangement soit apparemment trouvé, toute la bande enrichie des deux allemands se remet en route. Les rues sont pleines à craquer et l'ambiance est très festive. A minuit pile, c'est l'embrasement, un bruyant feu d'artifice envahit le ciel sous les yeux d'une foule en liesse. Des concerts aux sonorités latinos rythmeront une longue nuit durant laquelle ma mémoire plongera lentement dans la brume.



Le lendemain au réveil, je réalise que les allemands ont finalement dormis à deux dans le lit superposé au dessus du mien. Une solution quelque peu originale on dira. Ils seront remplacés dans la journée par un rochelais fan des girondins. Un strasbourgeois viendra compléter ce tableau très bleu-blanc-rouge. C'est bien la peine de partir à l'autre bout du globe pour se trouver à parler entre gens de l'hexagone. Ce premier jour de l'année sera marqué par de grosses séances de récupération. Le soir toutefois, un peu d'animation. Pour ce qui sera ma dernière nuit à Valparaiso, Juan nous amène chez un ami à lui, peintre. Il loge dans une petite maison dans le cerro Bellavista et profite d'une jolie petite vue sur la mer. Les enceintes offrent une sympathique musique électronique. Par la fenêtre ouverte je regarde les lampadaires scintiller sur la colline. En bas, la mer à peine visible dans la pénombre semble calme. Tout inspire à la légèreté. Je fais le tour des tableaux ornant les murs de son salon-atelier. Alors que je marque un temps d'arrêt devant l'un d'eux, il me propose carrément de me l'offrir. N'ayant clairement pas de place dans mon sac pour une toile d'un mètre je dois décliner. Par contre je repartirai avec un recueil de poèmes d'une amie à lui. François, quant à lui, héritera carrément des clés de la baraque où il est le bienvenu pour les jours à suivre. C'est ça Valparaiso. En trois jours, je n'ai frôlé que le contour de cette si intrigante cité. J'ai à peine senti l'ambiance populaire de son port et de ses habitants, mes mollets se sont tout juste aventurés sur les premières pentes de ses cerros, me yeux n'ont sûrement eu qu'un léger aperçu de l'infinité des peintures qui recouvrent les murs et je n'ai eu qu'un avant goût de la générosité que peuvent offrir les porteños. Mais plus de temps à Valpo, c'est prendre le risque de s'égarer, de se perdre, de se faire absorber et de rejoindre cette tribu insouciante d'artistes et de bohémiens. Valparaiso est un paradis, pas un paradis de sable et d'eau turquoise, mais un paradis pour l'âme. Les gens ne sont pas biens riches, loin de là, mais ils semblent tellement heureux et sereins. « We are not hippies. We are happies » ai-je pu lire sur un mur.


Réveil très difficile le lendemain à 7h après une nuit plus que courte. Au petit matin je passe le seuil de l'auberge endormie et met un terme à un séjour très dense et riche en tout point de vue. Cap au nord, après une très grosse journée de transport, j'arrive à Pisco Elqui. Ma dernière étape chilienne. Changement d'ambiance. L'Elqui est une petite rivière qui serpente au cœur d'une vallée désertique. Nous sommes entourés de montagnes rocailleuses et nues, arrosées par le soleil et balayées par le vent. La vie se concentre en bas, sur les bords de la rivière. Le climat local, très chaud en journée et frais la nuit permet une culture optimale de la vigne. Nous sommes ici dans le berceau de la production du pisco chilien, fruit d'une distillation de cépages de muscat. Le filet de verdure longeant la rivière est ainsi quasi exclusivement constitué de vignes. Pisco Elqui est un minuscule village au milieu des champs de raisins. Mon auberge est confidentielle et sympa. Elle fait également agence de tourisme. Ainsi, bien conseillé par Reto, un suisse francophone expatrié, je me planifie un petit programme décontracté sur les trois prochains jours. Je commence par gravir le flanc de ce relief desséché pour pouvoir, entre les cactus, observer ce vignoble s'étirer le long de la rivière. Le soir, à la fraîche, je me dirige vers la place centrale pour prendre le poul de l'ambiance locale en cette soirée estivale. Je tombe sur deux de mes colocataires du jour, Emiliano (argentin) et Kyle (Georgie, USA). Ils partagent une bouteille de vin. Je me joints à eux. Emiliano est en train de jouer d'une sorte de mini-batterie. La prestation musicale attirent deux figures locales qui tentent de vendre des produits artisanaux sur un banc voisin. L'un d'eux décide d'accompagner Emiliano à l'harmonica, et ce qui devait être une petite balade nocturne se transforme en soirée d'échange totalement improbable. Dans chaque instant réside une possibilité. Une fragilité qui peut ou pas se réaliser. A chaque instant, l'ordinaire peut basculer vers le singulier.







Le lendemain, en compagnie de Kyle et Robert (un anglais d'Oxford), notre quatrième colocataire, je profiterai d'une journée en VTT pour explorer la région, rouler le long des vignes, me poser dans un restaurant en bord d'eau, visiter une petite distillerie familiale. Le soir, accompagné d'un couple chileno-allemand et d'une hollandaise, je monte à bord d'un 4x4 et nous rejoignons Claudio, astrologue amateur local, pour une séance privée d'observation des étoiles au télescope. Dans l'hémisphère sud, le champ d'observation n'est pas le même que dans l'hémisphère nord. Assez déroutant. La vallée de l'Elqui offre un ciel dégagé quasi permanent. Du coup on trouve ici une flopée de centres d'observation. On va pas se mentir, cet endroit dégage une atmosphère particulière. La quiétude d'une vallée isolée. La tête dans les étoiles et les pieds au bord de l'eau. L'endroit idéal pour se ressourcer et clôturer un séjour en Amérique latine.

Etre arbre. Un arbre ailé. Dénuder ses racines
Dans la terre puissante et les livrer au sol
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste,
Ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler.
Pablo Neruda







Une nouvelle journée de transport pour retourner à Santiago. Une dernière nuit dans la capitale chilienne et je serai prêt pour traverser mon deuxième océan, le Pacifique. Pas de porte-conteneurs cette fois-ci. Ce sera par avion, plus traditionnel. Direction la Nouvelle Zélande. Peut être aurais-je la chance de pouvoir observer l'île de Pâques à travers mon hublot. Mais peu importe, je reviendrai, je suis loin d'en avoir fini avec le Chili.

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