Finalement quinze jours
après être entré dans le pays par la route australe terreuse,
après avoir remonté la Patagonie, après avoir traversé l'île de
Chiloé, après une séjour de Noël dans les régions des lacs et
après une dernière nuit de bus j’atteins enfin la capitale,
Santiago. La ville est frappée par le soleil et est entourée de
montagnes désertiques, ce qui donne un petit côté Las Vegas. Une
très sympathique ville malgré la chaleur étouffante. Du haut du
cerro San Cristobal, on profite d'une superbe vue à 360° sur
la ville. La visite se poursuit agréablement autour du marché
central, de la plaza des armas
richement arborée et encombrée, du palacio de la moneda
et de son immense drapeau chilien, du cerro Santa Lucia et
de son fort transformé en parc, des rues piétonnes animées. De
retour à mon hôtel, en fin de journée, je me penche sur la suite
de mon parcours et jette un coup d'œil rapide à mes billets d'avion
pour l'île de Pâques. Surprise, le mail de confirmation que j'avais
reçu n'en était pas un. J'ai mécaniquement archivé un mail de
refus. Je n'ai donc pas de billet d'avion. Il n'y aura donc pas d'île
de Pâques au programme. La stupéfaction passée, place à
l'organisation d'urgence. Le réveillon est dans deux jours. Parmi
tous les gens que j'ai croisés ces derniers jours sur la route,
nombreux sont ceux qui ont planifié de se rendre à Valparaiso pour
le passage à la nouvelle année. C'est effectivement une destination
privilégiée pour le réveillon. Son feu d'artifice est un des plus
réputé d'Amérique du sud. Je décide donc de me joindre au
mouvement.
Le
lendemain au lieu d'aller à l'aéroport je me rends donc à la gare
routière et monte dans le premier bus pour Valparaiso. La magie du
voyage nous amène à prendre des routes auxquelles on n'avait pas
initialement pensé. Je vais vivre une autre réalité. Mon souci
administratif est le début
d'une autre aventure. Depuis que je voyage, je suis dans un état
assez serein, et je ne vois donc à l'instant que les aspects
positifs de ma situation actuelle. Je me projette sur la découverte
de cette ville atypique. La déception de ne pas pouvoir découvrir
les moaï ne se fait
même pas ressentir. Une heure et demi plus tard, me voilà au bord
du Pacifique, je traverse la ville pour me rendre dans le quartier
populaire du port où se trouve mon auberge. Arrivé à l'adresse
indiquée, je tombe devant une façade jaune sans inscription. La
porte est entrouverte, je rentre. Je suis accueilli par Juan, le
gérant, un solide chilien de mon âge et Unay son jeune berger
allemand. Je le surprends en plein travaux. Juan m'explique qu'il a
fermé pendant un an et qu'il vient juste de rouvrir aujourd'hui. Je
suis donc le premier client de l'année. On se pose un peu pour
discuter. Tout en se roulant un joint il m'explique également qu'il
souhaite vendre l'auberge d'ici février-mars pour partir faire le
tour de l’Amérique du Sud en van avec son chien. Voilà une belle
introduction, je pense, à ce qu'est Valparaiso. Je pose mes bagages
et me jette à la découverte des charmes de cette ville si
particulière. Ancien haut lieu portuaire avant la création du canal
de Panama, la ville se divise entre sa partie plane (le
port et le quartier central) et
une succession de cerros.
Chacun de ces petits monts constitue un quartier à part entière. Il
faut se faufiler entre les routes sinueuses, gravir les escaliers
cachés, emprunter de vieux funiculaires pour découvrir l'ambiance
si particulière de ces amas chaotiques de maisons bariolées.
Valparaiso est LA ville du street art. Il y en a partout. A mesure
qu'on se laisse perdre dans les dédales on capte l'énergie des
lieux. C'est une ville bohème, très populaire, très brute. On est
en pleine authenticité. Cette énergie n'a pas encore été
mercantilisée. Pas
étonnant que Pablo Neruda y soit venu puiser son inspiration.
En
haut d'un des nombreux points de vue de la ville, je tombe sur deux
françaises (Lise et Camille) que j'avais croisées à Castro
et avec qui j'avais partagé le repas fruit de mers de notre
hôte Miguel. On récupère une de leur colocataire d'auberge
et, pour clôturer la journée, on va se boire un verre sur une des
multiples terrasses qui surplombent la ville. Je profite de mon pisco
sour tout en contemplant le soleil se coucher. Et dire que hier soir
mes pensées étaient encore tournées vers l'île de Pâques. Vers
minuit je rentre à l'auberge. En passant le seuil je tombe sur Juan
en train de prendre l'apéro avec deux amies (Yoyi et Claudia)
à lui venues de Santiago pour le réveillon. Il me propose d'aller
boire un verre avec eux. Me voilà donc en train de faire chemin
inverse. Il m’amène dans un un bar local typique (une sorte de
mélange entre les bars toulousains du Txus et du Nain Jaune) où
je pourrais encore mieux m'imprégner de cette ambiance qui flotte en
ville. Le lendemain au détour d'une rue je retombe sur les
françaises. Décidément. Nous passerons la journée ensemble à
arpenter le relief porteño,
à contempler les fresques murales et à déambuler dans le centre
autour du marché principal.
Finalement, voilà le dernier jour de
l'année. L'auberge affiche maintenant complet. Valparaiso c'est trois
cent mille habitants à l'année, mais aujourd'hui ce sera deux à
trois millions de fêtards. Je sympathise avec François, un lensois
(professeur à Brasilia) qui a regagné ma chambre. Après une
rapide restauration en ville, nous attaquons l'apéritif dans la
salle commune de l'auberge. Piscola au programme (Pisco avec du
Coca). Nous sommes rapidement rejoints par l'ensemble des autres
occupants (Juan et ses deux amies chiliennes, une hollandaise, une
londonienne, une brésilienne, un américain du Montana et une
américaine de Baltimore). Vers 23h, Juan propose à toute la
petite bande de se diriger vers la place Sotomayor, sur le
port, pour profiter du feu d’artifice et des concerts gratuits.
Alors que nous allons nous mettre en marche, deux jeunes bavarois
lestés de leurs gros sacs (assez dans la caricature) se
présentent devant l'auberge. Ils ont une réservation. Mais je vois
à la tête de Juan que ça va être compliqué de les caser. Pendant
que Juan et les deux allemands palabrent pour trouver une solution,
la petite bande enchaîne les photos de groupes. Décalage
d'ambiance. Finalement après qu'un arrangement soit apparemment
trouvé, toute la bande enrichie des deux allemands se remet en
route. Les rues sont pleines à craquer et l'ambiance est très
festive. A minuit pile, c'est l'embrasement, un bruyant feu
d'artifice envahit le ciel sous les yeux d'une foule en liesse. Des
concerts aux sonorités latinos rythmeront une longue nuit durant
laquelle ma mémoire plongera lentement dans la brume.
Le
lendemain au réveil, je réalise que les allemands ont finalement
dormis à deux dans le lit superposé au dessus du mien. Une solution
quelque peu originale on dira. Ils seront remplacés dans la journée
par un rochelais fan des girondins. Un strasbourgeois viendra
compléter ce tableau très bleu-blanc-rouge. C'est bien la peine de
partir à l'autre bout du globe pour se trouver à parler entre gens
de l'hexagone. Ce premier jour de l'année sera marqué par de
grosses séances de récupération. Le soir toutefois, un peu
d'animation. Pour ce qui sera ma dernière nuit à Valparaiso, Juan
nous amène chez un ami à lui, peintre. Il loge dans une petite
maison dans le cerro Bellavista et profite d'une jolie petite
vue sur la mer. Les enceintes offrent une sympathique musique
électronique. Par la fenêtre ouverte je regarde les lampadaires
scintiller sur la colline. En bas, la mer à peine visible dans la
pénombre semble calme. Tout inspire à la légèreté. Je fais le
tour des tableaux ornant les murs de son salon-atelier. Alors que je
marque un temps d'arrêt devant l'un d'eux, il me propose carrément
de me l'offrir. N'ayant clairement pas de place dans mon sac pour une
toile d'un mètre je dois décliner. Par contre je repartirai avec un
recueil de poèmes d'une amie à lui. François, quant à lui,
héritera carrément des clés de la baraque où il est le bienvenu
pour les jours à suivre. C'est ça Valparaiso. En trois jours, je
n'ai frôlé que le contour de cette si intrigante cité. J'ai à
peine senti l'ambiance populaire de son port et de ses habitants, mes
mollets se sont tout juste aventurés sur les premières pentes de
ses cerros, me yeux n'ont sûrement eu qu'un léger aperçu de
l'infinité des peintures qui recouvrent les murs et je n'ai eu qu'un
avant goût de la générosité que peuvent offrir les porteños.
Mais plus de temps à Valpo, c'est prendre le risque de
s'égarer, de se perdre, de se faire absorber et de rejoindre cette
tribu insouciante d'artistes et de bohémiens. Valparaiso est un
paradis, pas un paradis de sable et d'eau turquoise, mais un paradis
pour l'âme. Les gens ne sont pas biens riches, loin de là, mais ils
semblent tellement heureux et sereins. « We are not hippies.
We are happies » ai-je pu lire sur un mur.
Réveil
très difficile le lendemain à 7h après une nuit plus que courte.
Au petit matin je passe le seuil de l'auberge endormie et met un
terme à un séjour très dense et riche en tout point de vue. Cap au
nord, après une très grosse journée de transport, j'arrive à
Pisco Elqui. Ma dernière étape chilienne. Changement d'ambiance.
L'Elqui est une petite rivière qui serpente au cœur d'une vallée
désertique. Nous sommes entourés de montagnes rocailleuses et nues,
arrosées par le soleil et balayées par le vent. La vie se concentre
en bas, sur les bords de la rivière. Le climat local, très chaud en
journée et frais la nuit permet une culture optimale de la vigne.
Nous sommes ici dans le berceau de la production du pisco chilien,
fruit d'une distillation de cépages de muscat. Le filet de verdure
longeant la rivière est ainsi quasi exclusivement constitué de
vignes. Pisco Elqui est un minuscule village au milieu des champs de
raisins. Mon auberge est confidentielle et sympa. Elle fait également
agence de tourisme. Ainsi, bien conseillé par Reto, un suisse
francophone expatrié, je me planifie un petit programme décontracté
sur les trois prochains jours. Je commence par gravir le flanc de ce
relief desséché pour pouvoir, entre les cactus, observer ce
vignoble s'étirer le long de la rivière. Le soir, à la fraîche,
je me dirige vers la place centrale pour prendre le poul de
l'ambiance locale en cette soirée estivale. Je tombe sur deux de mes
colocataires du jour, Emiliano (argentin) et Kyle
(Georgie, USA). Ils partagent une bouteille de vin. Je me
joints à eux. Emiliano est en train de jouer d'une sorte de
mini-batterie. La prestation musicale attirent deux figures
locales qui tentent de vendre des produits artisanaux sur un banc
voisin. L'un d'eux décide d'accompagner Emiliano à l'harmonica, et
ce qui devait être une petite balade nocturne se transforme en
soirée d'échange totalement improbable. Dans chaque instant réside
une possibilité. Une fragilité qui peut ou pas se réaliser. A
chaque instant, l'ordinaire peut basculer vers le singulier.
Le
lendemain, en compagnie de Kyle et Robert (un anglais d'Oxford),
notre quatrième colocataire, je profiterai d'une journée en VTT
pour explorer la région, rouler le long des vignes, me poser dans
un restaurant en bord d'eau, visiter une petite distillerie
familiale. Le soir, accompagné d'un couple chileno-allemand et d'une
hollandaise, je monte à bord d'un 4x4 et nous rejoignons Claudio,
astrologue amateur local, pour une séance privée d'observation des
étoiles au télescope. Dans l'hémisphère sud, le champ
d'observation n'est pas le même que dans l'hémisphère nord. Assez
déroutant. La vallée de l'Elqui offre un ciel dégagé quasi
permanent. Du coup on trouve ici une flopée de centres
d'observation. On va pas se mentir, cet endroit dégage une
atmosphère particulière. La quiétude d'une vallée isolée. La
tête dans les étoiles et les pieds au bord de l'eau. L'endroit
idéal pour se ressourcer et clôturer un séjour en Amérique
latine.
Etre arbre. Un arbre ailé. Dénuder ses
racines
Dans la terre puissante et les livrer au sol
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste,
Ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler.
Dans la terre puissante et les livrer au sol
Et quand, autour de nous, tout sera bien plus vaste,
Ouvrir en grand nos ailes et nous mettre à voler.
Pablo Neruda
Une nouvelle journée de
transport pour retourner à Santiago. Une dernière nuit dans la
capitale chilienne et je serai prêt pour traverser mon deuxième
océan, le Pacifique. Pas de porte-conteneurs cette fois-ci. Ce sera
par avion, plus traditionnel. Direction la Nouvelle Zélande. Peut
être aurais-je la chance de pouvoir observer l'île de Pâques à
travers mon hublot. Mais peu importe, je reviendrai, je suis loin
d'en avoir fini avec le Chili.
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