Le Wisconsin est un état
du nord du pays, coincé entre le Canada et le lac Michigan. Un vaste
territoire agricole (Wisconsin en langage amérindien voulant dire
« là où la terre est verte »)
de seulement six millions d'habitants. Le territoire a
essentiellement été colonisé par des immigrés allemands, suisse
et scandinaves. Madison, capitale d'état, pourrait passer pour une
petite ville presque anodine mais le dôme de son capitole (le
deuxième du pays après celui de Washington DC)
rappelle l'importance politique
de la cité. La plus grande ville c'est Milwaukee. Un demi million
d'habitants regroupé au bord du lac Michigan. A l'origine, la ville
était aussi importante que Chicago, mais la croissance n'a pas été
la même. C'est ce qui en fait le charme. Au delà des gratte-ciels
du centre, la ville se compose de quartiers de maisons
traditionnelles en bois posées le long de longues rues arborées.
Les maisons sont assez disparates et colorées. Certaines se divisent
en trois ou quatre appartements. Je loge dans un appartement de l'une
d'entre elle, chez Alex, dans le quartier de Riverwest. Un quartier
qui semble assez dynamique (radio locale, supermarché
coopératif, musique live...).
Alex, c'est mon hôte via le site couchsurfing.
J'avais
privilégié ce site pour pouvoir me rapprocher des gens locaux et
partager leur quotidien. Mais au mois d'août, cela a été sans
grand succès sur des villes comme Vancouver, Seattle ou Portland. Je
me suis alors rabattu sur les solutions du site airbnb, en prenant
une chambre dans un logement partagé. Sur ce site on trouve de tout,
et cela est assez révélateur de notre société. Cela va de l'usine
impersonnelle à l'échange convivial. Il y a ceux qui proposent
quatre ou cinq chambres dans des maisons entières où tous les accès
se font par des codes numériques et où on ne voit jamais l'hôte
car la communication se fait par mail. Il y a ceux qui offrent une
pièce de leur logement pour arrondir leur fin de mois et qui sont
aux petits soins. Dans ces logements partagés, on bénéficie du
confort tout en croisant beaucoup de monde. Il y a des touristes bien
sûr qui comme moi optent pour cette alternative à l'hôtel. Et il y
a des colocataires à l'année ou des propriétaires occupants. C'est
vers ceux là que j'essaie d'aller dans mes choix de réservations,
car l'échange est plus intéressant. Pour cela, on décortique les
annonces et on n'hésite pas à sortir des quartiers centraux quitte
à passer du temps dans les transports en commun.
Alex
donc, ce sera mon premier hôte via couchsurfing. Professeur des
écoles et très impliqué dans la vie locale, il déroule un agenda
très chargé au cours duquel on aura tout de même le temps de
descendre une paire de bières et d'échanger sur sa ville. Comme à
chaque fois le sujet de Trump arrive rapidement sur le tapis, puis
celui de Marine Le Pen. C'est incroyable le nombre de gens qui la
connaisse outre Atlantique. Je lui présente avec humour le
« couscous gate »
qui touche actuellement le FN.
Milwaukee,
c'est aussi la capitale américaine de la bière (culture
germanique oblige).
J'en profite pour visiter la
brasserie Miller, la plus grande et la plus ancienne de la ville. La
visite est gratuite (« Quand c'est gratuit, c'est que
c'est toi le produit »).
Ça ne manque pas, on débute par vingt minutes de film pour vanter
tous les mérites de la marque. En Europe, sur une visite du genre,
on s'attend à découvrir les secrets d'assemblage et de
fermentation. Et bien ici, on préfère s’attarder sur le
packaging, les bénéfices, les chaînes d'embouteillages et
présenter les records de mises en bouteille en temps et en volume.
Et ce devant un auditoire conquis. Je pense que le marketing est
considéré comme un art aux États-Unis. L'usine est immense et
répartie sur plusieurs grands entrepôts. La chaîne d'assemblage
passe d'une bâtiment à l'autre. Au dessus de la route, on peut
ainsi voir des bouteilles de bières défiler sur un tapis roulant au
travers un couloir vitré. La visite se termine par une séance de
dégustation en quasi open bar, à la plus grande joie des supporters
de baseball venus se distraire avant le match de l'équipe locale des
Brewers (les
brasseurs) dans le stade tout
proche qui porte le nom de la marque (Miller Park).
Capitale de la bière je vous dis.
Au
delà de Milwaukee, on est vraiment à la campagne. Le paysage vert
s'est teinté des couleurs automnales. La région est le premier
fournisseur de produit laitier du pays et cultive de nombreuses
céréales (il paraît qu'ils font de la bière). On roule sur
de longues lignes droites au milieu des champs, des vaches, des
tracteurs, des fermes et d'authentiques granges en bois. Je
m'attendais à voir de grandes exploitations à l'image du pays. Il
n'en est rien, c'est une succession de petites structures familiales.
Nous ne sommes pas dans l'Amérique urbaine ni dans celle des
rednecks. Nous sommes dans le Midwest, ce que j'ai presque envie
d’appeler l'Amérique du réel.
C'est
notamment ici qu'une partie de l'élection de Trump s'est joué. Dans
le Wisconsin, il a fait un point de plus que Clinton et a empoché
les dix grands électeurs en jeu. Les États-Unis ce sont en quelque
sorte un mélange d'union et de division. Union des Etats déjà.
Union, bien sur, autour du drapeau, de l'armée et des valeurs de la
famille. Mais surtout union locale. Le terme de communauté est très
important, les américains se rassemblent autour des institutions
locales, qu'elles qu'elles soient : église, école, université,
équipe sportive. Il faut bien comprendre que les Etats-Unis sont un
pays de colonisation et d'expansion. Ses habitants, descendants
d'immigrés, se constituent ainsi en différentes communautés et
glorifient une terre et un passé récent desquels ils se posent en
ardents défenseurs. Mais derrière cette force collective de façade,
la réalité c'est la division. On ne tolère pas ce qui dépasse du
cadre et on se segmente par communauté, on stigmatise la
divergence... Union et division. Quand le patriotisme dérive en
nationalisme. Un fléau malheureusement bien au goût du jour, des
deux cotés de l'océan. Concrètement au quotidien je vis dans ce
folklore : omniprésence du drapeau national, musique country au
supermarché, glorification des vétérans...
Je
prends ensuite la direction de Green Bay, la troisième ville de
l'état, qui est en fait la véritable raison de mon séjour dans le
Wisconsin. C'est une ville industrielle assez commune et sans grand
intérêt. La seule réelle spécificité de la ville c'est son
équipe de football américain, les Packers. Une vraie belle histoire
à l'américaine. Il s’agit déjà de la plus petite ville (cent
mille âme) accueillant une
équipe de sport professionnel aux États-Unis. Un peu comme si le
Real de Madrid jouait à Albi. L'histoire commence en 1919, quand un
joueur local, Earl Lambeau, décide de créer une équipe
semi-professionnelle dans sa ville. Il sollicite l'aide financière
de son employeur, l'Indian Packing Compagny (qui faisait de
la mise en boîte de conserve de viande)
et qui expliquera le nom de Packers. Le succès face à des équipes
du Wisconsin et des états voisins est rapidement là, aussi dés
1921, l'équipe rejoint la toute jeune ligue professionnelle
nationale. Malheureusement économiquement, c'est compliqué de
suivre, et la jeune équipe présente de gros soucis financiers. Le
journal local mobilise les entreprises de la région pour sauver le
club. Mais ce qui sera décisif c'est le choix d'en ouvrir le capital
à la population. L'engouement va aller au delà des espérances et
permettre de pérenniser le club. Les Green Bays Packers ce sont
aujourd’hui une des plus veilles franchises encore en activité et
ce sont treize titres nationaux. Mas il s'agit surtout d'une
organisation unique à but non lucratif détenue par trois cent
soixante milles personnes disposant chacun d'un droit de vote. Un
passionné à fondé un club, la ville l'a adopté.
J'ai
donc profité de la succession de deux matchs à domicile en quatre
jours pour accompagner les fans locaux, venus de tout le Wisconsin,
dans ce stade mythique de plus de quatre vingt mille places qu'est
Lambeau Field. La première rencontre est au milieu d'un dimanche
après midi ensoleillé contre les Cincinnati Bengals. Les abords du
stade sont très pavillonnaires. Certains font ainsi payer le
stationnement sur leur bout de pelouse (de 5 à 30 dollars en
fonction de la proximité). D'autres organisent des barbecues
géants dans leurs jardins. C'est ainsi que j’ai atterri dans un
maison entièrement décorée à la gloire des jaunes et verts parmi
une trentaine de personnes en train de se restaurer. Sur le parking
du stade, on déplie les auvents et on sort les fauteuils et
glacières des pickups. Une odeur de friture embaume l'air. Un peu
l'impression d'assister à la mise en place d'un Woodstock culinaire.
La foule se presse, ce soir encore le stade sera comble. C'est l'été
indien dans le Wisconsin, le mercure affiche 31°C ce qui fera de ce
match rien de moins que le plus chaud joué à Green Bay, et
l'occasion donc de bien penser à s'hydrater grâce aux produits de
la marque Miller (ça marche le marketing!). Dans
l'autre sens, le record du match le plus froid affichait -25°C pour
une demi-finale de championnat en 1967 rebaptisée l'Ice bowl.
Lambeau Field est un stade ouvert, à l'ancienne, je laisse imaginer
le tableau.
Je me
faufile dans la marée de maillots verts et regagne ma place.
L'ensemble du stade étant composé d'abonnés (avec transmission
de génération en génération), mes voisins s'enquièrent de ma
provenance. Trois mots en français et je suis littéralement intégré
à la bande. Le match sera plus serré qu'il n'aurait du
l'être. A la traîne toute la partie les Packers vont égaliser
dans les dernières secondes et m'offrir une prolongation. Green Bay
a perdu ses six derniers matchs en prolongation. Mais devant un stade
entièrement debout et dans une ambiance absolument géniale, les
locaux vont finalement parvenir à s'imposer 27 à 24.
Mon
deuxième match sera contre les Chicago Bears. Le voisin de
l'Illinois. L'éternel rival. Le « classico » de
la NFL entre deux des plus vieilles équipes de la ligue et qui se
sont affrontés 194 fois depuis 1921 (avec une égalité parfaite
au coup d'envoi). Sur le papier le match est censé être
déséquilibré tant l'équipe de Chicago a perdu de son lustre
d’antan, mais les nombreuses blessures des joueurs locaux laissent
entrevoir un nouveau match serré. Je décide de passer l'avant match
au milieu du « tailgate », le pique-nique géant
sur le parking. L'ambiance est bon enfant, on s'amuse à s'envoyer le
ballon entre fans. On se regroupe par noyaux et j'imagine qu'on se
raconte les semaines respectives autour de quelques mousses et amuse-gueules. C'est un peu l'auberge espagnole, chacun se sert un peu
partout. Même les fans avec le maillot adverse sont de la partie. Je
rentre dans le stade et je m'arme de cheese curds, sorte de
beignets de fromage, spécialité locale.
Mais
avant de parler du match, vient le moment de l'hymne national. Un
nouvel exemple de l'union et de la division que je décrivais plus
haut. Dans la semaine, Donald Trump (désolé mais c'est un sujet
de discussion assez récurrent) a fait une sortie assez remarquée
sur son compte twitter. Il a demandé aux équipes de NFL de bannir
les joueurs qui n'honoreraient pas l'hymne national en restant assis
ou mettant le genou au sol (j'avais parlé de ce sujet lors de mon
match de baseball à Oakland). Derrière l'excuse de l'union au
drapeau il stigmatise une population qui ne cherche qu'à dénoncer
une injustice (violences policières). Encore la division. Çà
a beaucoup fait parler et débattre dans la semaine. Il y a bien sur
un ensemble de personnes et célébrités qui se sont offusquées
publiquement de cette demande, mais au fond je sens bien quand même
que la majorité de la population approuve ces déclarations.
Notamment dans le Wisconsin où 97% des gens sont blancs. Et quand
pour l'hymne, un grand drapeau a été déplié sur le terrain, le
stade s'est mis à scander avec ferveur « USA ! USA !
USA ! ». Le supporter devant moi arbore pour
l'occasion un badge représentant le drapeau national et la mention
« I stand ». Sous entendu : je me lève pour
mon drapeau. La réponse est claire. Victoire Trump. Évidemment,
d'un coup, ça casse un peu l'ambiance de mon côté.
Le
match démarre sur les chapeaux de roues et assez rapidement les
locaux prennent nettement l'ascendant. Alors que le premier quart
temps se termine, une annonce micro est faite pour nous informer de
la suspension du match suite à un risque d'orage. Surpris, comme mes
voisins, je lève les yeux au ciel mais ne vois pas de nuage ni de
menace. Je suis quand même la foule, et à peine le temps d'arriver
dans les coursives qu'une pluie violente s'abat sur le stade et que
des éclairs transpercent le ciel. L'orage sera bref et finalement
vingt minutes plus tard nous sommes invités à regagner nos places.
Je commence à essuyer ma place quand je me fait gentiment chambrer
par mon voisin de derrière qui m'indique qu'en Décembre et Janvier
c'est dans la neige qu'on s'assoit. Le match va finalement se
dérouler sur une écrasante démonstration des joueurs de Green Bay
et une victoire sans appel 35 à 14.
Entre
les deux matchs j'ai exploré le comté de Door. La petite corne à
l'est de l'état, sorte de presqu'île dans le lac Michigan. A en
juger par le noms des localités, il est facile d'en déduire
l'origine de la population (Brussels, Namur, Belgium,
Luxemburg, Denmark, Poland...). L'ambiance
est moins dans l'agriculture et plus dans la villégiature. Les
petits villages en bord de lac se succèdent et offrent de charmantes
petites plages respirant la quiétude. Comme il existe des coins à
champignons ici c'est un coin à retraités.
Septembre
se termine et je débute Octobre dans l'Illinois et la troisième
ville du pays, Chicago. Je rends la voiture a l'aéroport, et dans le
métro qui me mène au centre-ville je retrouve les sonorités
allemandes et chinoises. Je suis de retour parmi les touristes. Mine
de rien, j'ai passé une dizaine de jours en dehors des sentiers
battus au cœur de l'Amérique. La population est vraiment
sympathique mais la ferveur patriotique et les valeurs assez rigides
me laissent tout de même perplexe.
Chicago
est une ville vraiment paisible et sous-estimée. Posée au bord du
lac Michigan, sa skyline encercle le très agréable Millenieum
Park qui abrite l'Institut des arts. L'art est un mot qui colle
bien à cette ville. Au cœur du parc déjà, on peut se balader au
milieu de nombreuses œuvres dont le très célèbre cloud,
espèce de nuage métallique où se pressent les touristes et leurs
reflets. J'ai beaucoup aimé également une espèce d'immense miroir
d'eau où s'animent des visages d'hommes et de femmes. L'art est
dans l'air également. Chicago offre une architecture remarquable.
Les gratte-ciels sont élégants et se succèdent sans sentiment de
monotonie, sur une ambiance de verre et de pierre blanche. Chicago à
l'élégance de son âge. Un charme de l'ancienneté qui rime
toujours avec authentique jamais avec vétuste ou désuet, à l'image
de son métro aérien. Sur une structure métallique, au dessus des
têtes, des trains d'acier circulent bruyamment autour de stations
aux planchers de bois. Et au sol, la vie grouille à chaque
intersection. Proche du centre mais plus au nord, on trouve une plage
de sable et un zoo gratuit. Non, sincèrement cette ville offre
vraiment un magnifique cadre de vie.
Demain je la quitte pour
rejoindre Las Vegas, où l'ambiance doit malheureusement être tout
autre actuellement.
quel beau début d'aventure !! lire tes tribulations nous fait voyager.
RépondreSupprimerContinue, et profite un maximum.
Brice
Merci bien!
RépondreSupprimerEt donc, la Miller... Avis...
RépondreSupprimerPas fan des produits classiques (High life et Lite). Trop fade, trop "marché américain".
RépondreSupprimerEn revanche j'aime beaucoup la "blue moon". Ils appellent ça "white belgian style". C'est clairement pas une blanche, mais on retrouve effectivement le coté doux-amer que j'aime sur les produits belges. J'aimerais bien savoir si on trouve ça en France.