mardi 19 septembre 2017

La terre du milieu

Me voilà dans l'Utah, à Salt Lake City. Fraîchement débarqué de San Francisco, je récupère ma voiture de location à l'aéroport. En un rien de temps je suis largué au milieu de routes à cinq voies et de bifurcations dans tous les sens. Heureusement, le temps de sortir de l'agglomération et je retrouve des routes à taille humaine. La visite de la ville n'était pas au programme, pas le temps de saluer Rudy Gobert (basketteur français des Utah Jazz). Je file tout droit au nord vers l'Idaho et Idaho Falls où je passerai la nuit. Puis cap à l'est vers le Wyoming et le parc du Yellowstone. Avant cela je traverse le parc du Grand Teton qui m'offre un bon apéritif en la matière. Je suis de retour en pleine nature.



Je retrouve l'ambiance canadienne : un grand lac aux pieds de montagnes, le tout décoré de sapins. Seul l'herbe jaunie vient ajouter une autre couleur à la palette. A l'image des écureuils peu farouches, je découvre les gros corbeaux (ravens) se promenant nonchalamment sur le toit des voitures. Le parc se traverse assez rapidement, d'autant plus que je m'interdis encore les grandes excursions. Viens donc ensuite le plat de résistance, le parc du Yellowstone. Je passerais la première nuit à Grant Village. Les logements étant très chers dans et aux abords du parc j'ai fait le choix de séjourner à l'intérieur mais au camping. Économie d'argent mais aussi de temps. Par contre je m’essaie au camping sans tente. Je vais dormir dans la voiture. Je rabats les sièges et m'installe dans mon duvet. Évidemment c'est pas très plat mais j'arrive à m'étendre entièrement. Je commence à me demander si j'ai fait le bon choix en terme de confort. La réponse va tomber du ciel, sous forme de petits grêlons puis d'une pluie battante. Les gouttes martèlent la carrosserie. J'observe au travers de la buée les gens courir en tout sens. Tout d'un coup je trouve ma position plus confortable. La nuit sera correcte bien que fraîche. En allumant la voiture au petit matin, le compteur affiche 40° Fahrenheit, ce que je traduis à 4° Celsius ( je sais que 32°F équivaut à 0°C et 50°F à 10°C).

L'avantage de dormir dans la voiture, c'est qu'on est vite opérationnel. A 7h j'étais déjà sur les routes et j'ai pu profiter quasi en solitaire de mon début de journée. Un moment que j'ai partagé avec une jeune biche qui prenait son petit déjeuner, tranquillement, en bordure de lac. Ma première journée au Yellowstone sera sur la partie géothermique. Je vais enchaîner les différents geysers, remous boueux, champs de fumerolles, bains bouillants, sources d'eaux chaudes fumantes et autres merveilles de la nature. Avec des niveaux de couleurs incroyables allant du bleu azur à l'ocre en passant par le beige, le vert, le noir, l'orange déclinée en version saumon, rouille ou vermeil. Les sources d'eaux chaudes sont impressionnantes. D'un bleu limpide, elles laissent apparaître des profondeurs abyssales. De véritables puits marins qui n'inviteraient qu'à la baignade si on n'était pas freiné par l'idée d'être brûlé vif.







L'attraction de ce secteur c'est Old Faithfull, un geyser qui s'anime environ toute les heures et balance dans les airs un jet d'une quarantaine de mètres. Évidemment, tout le monde attend ça avec impatience, en demi cercle et sous une farandole de parapluies. Le geyser va cracher de l'eau pendant trois bonnes minutes avant de retrouver sa torpeur fumante sous les applaudissements d'une partie de l'assistance qui visiblement souhaite remercier dame nature pour le spectacle offert.




La deuxième nuit a été nettement plus fraîche que la première, je me suis paré d'une couche supplémentaire de vêtements en anticipation. Pour fuir le froid, je me mets en action vers 6h30, je démarre la voiture sur une route détrempée et encore plongée dans le noir. Le programme du jour se trouve au nord du parc, un environnement plus sauvage agrémenté de canyons, de chutes d'eaux et des sources d'eaux chaudes de Mammoth. A peine ai je commencé à gravir les pentes du Mont Washburn que je fais face à une forêt blanche. Sur les hauteurs il a neigé, j'avance prudemment sur une route restant toutefois correctement praticable. Je ne suis pas le seul lève tôt, je croise une paire de voitures mais également un bison venu brouter de l'herbe gelée en bord de route, pas gêné le moins du monde par la situation climatique. Ce panorama quasi désert d'armées de sapins couverts de neiges dans une lueur encore très faiblarde me renvoie à l'imaginaire de Skyrim ou encore de Winterfell. De retour dans la plaine, c'est la pluie qui m'accompagnera toute la journée. Le parc est très sauvage, il est assez facile d'observer des animaux, bisons ou élans. Ces derniers se baladent même en ville, perturbant légèrement le trafic routier.


 



La dernière nuit sera encore plus froide puisque je me couche en regardant la neige tomber sous une température proche de 0°C. Il n'y a plus de tentes sur le camping. Il ne reste que des campings cars, des caravanes, des vans ou des voitures aménagées. Je me lève aux aurores et mets la voiture en marche pour me réchauffer. J'ai une trentaine de kilomètres à faire ente Canyon Village et Lake où je bifurquerais pour sortir du parc. Ce fut une courte distance exceptionnelle. La nature sauvage est figée dans le givre matinal. On longe la rivière Yellowstone où quelques canards s’ébrouent au travers d'une fine vapeur d'eau. Les points de vue s'enchaînent sur les paysages enneigés, et de nombreux photographes munis d'un attirail de compétition (téléobjectif, jumelles, trépieds...) sont de la partie. Au loin on entend les cris d'animaux. Mais ce qui m'a le plus marqué ce sont les bisons. J'ai pu en voir au bas mot une centaine, en différents troupeaux, au loin dans les prairies enneigées ou directement en bord de route. Vers 7h30 j'arrive à Mud Volcano, je serais la première voiture sur le parking et le premier à laisser des traces sur la neige fraîchement posée sur la promenade en bois. Premier humain, car je découvre des traces d'écureuils et de biches par endroits. Époustouflant de voir ces eaux chaudes doucement fumer dans un panorama blanchi et gelé. Une fois ma boucle effectuée, je reviens sur le parking. Ma voiture est toujours la seule stationnée, mais elle est sous bonne garde puisqu'une dizaine de bisons se trouvent à proximité. Je jette un regard au loin et j'en vois une dizaine d'autres se balader sur la promenade en bois, la même sur laquelle je marchais un quart d'heure auparavant. Ils doivent sûrement vouloir profiter du spectacle également. Je regagne discrètement mon véhicule et laisse tout ce beau monde à leur activité touristique.








Une fois arrivé à Lake, mauvaise surprise, un ranger m'informe que la route sortant du parc est fermée à cause de la neige. J'ai prévu de me rendre à Sheridan à cinq heures de route de là. Je patiente donc une éventuelle réouverture en milieu de matinée. Vers 10h30, le ranger m'indique qu'il neige encore et que la route pourrait ouvrir sous une heure comme pas du tout. Je prends la décision de faire un détour. Deux heures de plus en passant par le nord du parc puis le Montana ou trois heures supplémentaires en prenant par le sud et le Wyoming. Le nord étant montagneux, je ne suis pas certain de ne pas rencontrer les mêmes problématiques sur la route. Je décide donc de prendre le détour au sud. Me voilà parti pour huit heures de route dans le Wyoming. Je quitte donc le parc par l’accès sud, le même par lequel j'étais rentré. En dehors du Yellowstone, le Wyoming abrite une partie des Rocheuses et me propose donc du relief. Ma longue route ne sera pas monotone. Le paysage va changer sans cesse: forêts enneigées, vallons herbeux, routes encaissées, roches rouge, plaines quasi désertiques, routes de montagne. Pluie, neige, soleil, brouillard. Très peu d'habitation, l’État est très sauvage et est également le moins peuplé des États-Unis avec moins d'un demi million d'habitants. Population très éparse qui se regroupe dans de tout petit villages de mille ou deux milles habitants. Peu de maisons en dur, beaucoup de logement en bois et en tôle, beaucoup de caravanes également. Les hameaux traversés nous accueillent par une ribambelle de drapeaux nationaux fièrement accrochés aux commerces sur des façades très « Far West moderne ». On croise des pick-up avec des drapeaux sudistes, des carabines posées sur les plages arrières des véhicules, des pancartes d'appels aux dons pour les vétérans, des églises boisées en pagaille. Bref, Trump a fait 70% dans le Wyoming.






En fin de journée, j'arrive à Sheridan et je rejoins l’autoroute « interstate » 90. Autoroute que je vais littéralement habiter pendant trois jours, le temps de traverser deux Etats supplémentaires (South Dakota et Minnesota) avant de rejoindre le Wisconsin. Je ne vais pas quitter cette double voie qui file en ligne droite sur un un paysage devenant de plus en plus commun. Un asphalte gris pâle et usé qui se déroule au cœur de plaines offrant une herbe jaunie et quelques buissons. Tous les quinze ou vingt kilomètres, une sortie est possible. Une route partant au sud et l'autre au nord, vers je l'imagine des endroits encore plus perdus. On est vraiment au centre du pays, dans le no man's land. A ces carrefours routiers, on retrouve une station service qui fait alimentation. Je ferais « escale » dans des villes de rêves telles que Rapid City, Sioux Falls et La Crosse. L'occasion de goûter aux joies de l'hôtellerie américaine et de ses fameux motels posés en bord de route. Ne soyons pas mauvaise langue, le confort est là et pour des prix tout à fait honorable. Le seul truc qui m'a fait tiquer c'est la présence systématique d'une bible sur la table de chevet. Une religion, un drapeau, une arme. Make America great again comme dirait l'autre. Et à coté de ces motels on retrouve les enseignes de restaurations. Toujours les mêmes, je finis par les retenir (Arbys, Taco Johns, Burger King, Mac Donald's, Subway, Wendy's, Pizza Hut, KFC...).


A mesure que je chemine sur la longue langue de bitume, je m'étonne de ne pas voir de radar. Et pour cause, ici on fait ça à l'ancienne. Les voitures de police sont postées en bord de route. Dés qu'elles repèrent un excès de vitesse, elles prennent le fautif en chasse. Je n'ai pas vu de course-poursuites mais j'ai vu de nombreux contrevenants arrêtés au bord de la chaussée, une voiture de police toutes lumières allumées garée juste derrière. Je me suis limité à cinq heures de conduite journalière. Ce qui me laisse du temps pour prendre la température de la vie locale dans ces villes posées au milieu de rien. Je suis notamment allé faire ma lessive dans une de leurs immenses laveries. Pas ou peu de machines à laver individuelles aux États-Unis. On va à la laverie. Une immense pièce abritant une quarantaine de machines à laver et une trentaine de sèche-linges. On y vient en famille, on y rencontre ces voisins, on discute, on passe le temps en regardant la TV. Il y a plus qu'à rajouter une tireuse et ça devient un pub.

Sur ce long trajet je me suis accordé un petit détour par les Black Hills, forêt vallonnée et plantée de hautes roches grises. Cela fait plaisir de retrouver un oasis de verdure dans ce désert végétal. L'endroit est très agréable mais est surtout réputé pour le Mont Rushmore en son sein. Le fameux mont où sont sculptés les visages des quatre plus emblématiques présidents de la nation. Il est vrai que l’œuvre en impose, on ne peut qu'admirer la prouesse technique. Un musée au pied du mont nous permet de revivre la réalisation de la sculpture et bien évidemment, nous permet également sur un ton très patriotique de parcourir l'histoire de la constitution de la nation des États-Unis. Au delà de la beauté de la réalisation, tout cela interroge quand même sur la motivation et l’ego derrière l'entreprise. Comme si des monuments et des statues n'était pas suffisant, on s'est dit qu'on allait carrément défigurer la nature pour la marquer de manière indélébile et laisser une « trace ». Avec du recul, cela me paraît tout aussi puéril que d'écrire son nom au cutter sur une table en bois au collège.


La chlorophylle, les champs de maïs, les arbres et les exploitations agricoles sont réapparus dans le Minnesota. Puis finalement, l'interminable route a surplombé l'impressionnante rivière du Mississippi et me voilà à La Crosse, porte d'entrée du Wisconsin où j'ai prévu de finir le mois de septembre.

1 commentaire:

  1. Le mont Rushmore était aussi une montagne sacrée pour les amérindiens. Cette trace indélébile sert donc aussi à montrer qui sont les nouveaux maîtres du territoire...

    Damien

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