lundi 11 septembre 2017

Triptyque de la côte ouest américaine


Seattle
Le grunge, Nirvana, Les Sonics de Kemp et Payton. Une part de ma jeunesse. Une certaine idée d'une Amérique alternative loin des classiques New York et Los Angeles. Une ville dynamique, siège de Boeing, Microsoft ou Amazon. Et à la fois un des berceaux du mouvement altermondialiste. Bref, surnommée Emerald city ou Rainy city, Seattle a de quoi attirer la curiosité et mériter une escale voire des nuits blanches.



Je réside dans le quartier de l'université (U-District), au nord-est. L'université de l'état de Washington est magnifique. Fidèle à l'image d'un campus américain que peut nous renvoyer le cinéma. De très jolis bâtiments en briques rouges dans un parc richement arboré et doté d'une belle fontaine. La principale rue du quartier (University street) est bordée de tout ce que la junk/fast food américaine peut offrir (des burgers aux pizzas en passant par les shawarma, les mexicains, les coréens, les indiens, les thaïlandais...). Finalement peu de bars, les étudiants doivent sortir dans le centre ville j'imagine. Je rentre dans le premier pub sur ma route. Nous sommes vendredi, en début de soirée. Je tombe sur une marée d'étudiants tout de violet vêtus les yeux rivés sur les écrans. Les Huskies, l'équipe de football américain de l'université (une des dix meilleures du pays), joue son premier match de la saison, à l’extérieur. Je commande une bière et profite de l'ambiance et de la victoire des « violets ». 



Niveau football américain, la ville accueille également une des meilleurs équipes de la NFL : les Seahawks (vainqueur du superbowl en 2013). Je fais le tour du Century Link Field, leur antre partagé avec l'équipe de soccer locale. Un stade ouvert en forme de bateau qui accueille un des plus fervent public de la ligue, un endroit mythique de ce sport. Les Mariners, l'équipe de baseball joue dans le stade voisin, une franchise historique également.


Seattle est assez similaire je pense à ce que l'on peut trouver dans une ville américaine : un quartier ancien (pioneer square) où l'on peut observer de jolis petits bâtiments à l'architecture soignée suivi du cœur de ville a proprement parlé (Downtown) et ses grands buildings. Seattle se distingue par deux particularités : le Pike Market et le Space Needle. La ville abrite en effet, autour de Pike street, un vieux marché sur plusieurs niveaux dans un bâtiment très « pop » où on peut se procurer toute sorte de choses (des fleurs, du poisson, des objets vintage...). En bordure du marché, des queues colossales se forment à l'entrée des divers restaurants. De quoi me décourager de goûter aux spécialités locales bien qu'alléchantes.


Le Space Needle c'est le monument emblématique de la ville. Une grand tour en fer surplombée d'une espèce de soucoupe. De prés, c'est relativement moche (question de goût) non sans me rappeler la laideur de l'Atomium de Bruxelles (question de goût). Ma visite de Seattle se déroule en même temps je suppose qu'un salon sur le jeux vidéo. Ce sont l'armada de geeks arborant le même pass autour du cou et le défilé de gens déguisés qui m'ont mis la puce à l'oreille. C'est pas tous les jours qu'on prend le métro avec les personnages de final Fantasy VII. 



Portland
Plus au sud, à trois heures de bus, Portland dans l'Oregon.
Comme Seattle, une histoire de moins de deux siècles et autour de deux millions d'habitants dans l'agglomération. Mais ici, ce n'est pas la même ambiance.


Je descend du bus et suis frappé par la chaleur étouffante de cette fin d'après midi, le baromètre frôle les 40 degrés (celsius, ceux de chez nous). Un voile poussiéreux est posé sur la ville, il limite le regard et agresse les bronches. Le soleil tape fort mais le ciel est gris. Mes premiers pas se font dans un quartier calme et relativement désert. J'ai subitement l'impression d'avoir changé de pays. A chaque coin de rue, sous chaque pont, quasiment sous tous les porches, des sans domiciles fixes. Posés sur des cartons, à même le sol, dans des abris de fortunes, seuls ou en petits groupes, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, de toutes origines, plus ou moins habillés, plus ou ou moins en bonne santé, c'est une véritable armée qui peuple Portland. A Seattle, il y en avait quelques-uns mais ici c'est le rassemblement. On a renoncé à les chasser ou les aider. On s'est résigné à vivre avec. C'est ça les Etats-Unis, derrière les grandes success story, l'imaginaire de paillettes, les grandes villes aux fiers buildings et aux voitures rutilantes, on retrouve les laissés pour compte. Les abandonnées de l'usine à rêve, les accidentés de la vie, les inadaptés au système. Ceux pour qui l'Amérique ne peut plus rien. Des gens que même la raison semble avoir abandonnés et qui errent dans la ville comme dans un monde parallèle dans des accoutrements improbables et en tenant des discours d'illuminés. Le soleil cogne fort sur le bitume. Le sac plombe sur mon dos humide. La chaleur fait ressortir par endroit une forte odeur de détritus et d'urine. Portland n'est pas joli.

La ville n'est pas moche pour autant. Elle a son charme qu'il faut savoir observer. C'est une ville industrielle aux grandes usines posées le long de la rivière Willamette qui est elle-même enjambée par de nombreux ponts en fer. On retrouve à l'est de la ville, dans la partie entrepôt/atelier, la même essence que j'avais pu observer à Bushwick. Une cohabitation entre activité industrielle et mutation d'entrepôts en bars, micro-brasseries et autres lieux créatifs. Je n'ai malheureusement pas eu le temps d'appréhender l'ensemble le soir ou le week-end mais je suis sur qu'il y a bon nombre d'endroits cools et dynamiques qui justifient l’intérêt qu'on prête à cette ville.


En touriste de base, j'ai arpenté le Washington Park à l'ouest, grand espace de verdure sur une colline qui surplombe la ville. Le parc abrite divers centres d’intérêts (zoo, mémorial, jardin japonais...) dont un grand jardin aux roses qui vaut à la cité le surnom de ville aux roses (et non pas ville rose). En redescendant je passe devant le stade de l'équipe de soccer (les Timbers). Une belle enceinte creusée offrant un style architectural proche de ce que l'on peut apprécier outre-manche. Je m'arrête à la librairie Powell's, un établissement qui s'étend sur tout un bloc d'immeubles et se développe sur quatre niveaux. A l’intérieur, des allées impressionnantes de bibliothèques en bois où l'on trouve absolument tout type d'ouvrage, neuf ou ancien. Je m'arrête à l'espace des livres en français pour me réapprovisionner (depuis que j'ai du temps libre j'ai pris cette manie de lire). La ville abrite une chaîne de magasins de donuts (Voodoo Doughnut). Vu les longues queues devant les boutiques et le nombre de personnes se trimballant avec les boites roses à l'effigie de l'enseigne je présume qu'il s'agit d'un produit de qualité. Je ne testerai pas (j'ai horreur de faire la queue). En soi la ville de Portland n'a pas d'autre grande originalité, on y retrouve un ensemble de buildings, un quartier ancien et un quartier chinois (avec un très joli parc). Quand on se pose un peu, dans un parc ou dans un café, on sent une ville habitée et dynamique. Les enfants ont repris le chemin des écoles et chahutent dans les bus. On promène son chien, on s'exerce au skate ou à la guitare, on prend le temps de discuter sur le trottoir. On est détendu, et ça se voit.


 

San Francisco
Pour rejoindre la Californie et San Francisco je décide d'opter pour le bus et un trajet de 15h. L'expérience canadienne ayant été concluante. On part donc de Portland vers 18h30, le premier arrêt est en banlieue, une heure plus tard, en gare de Salem. Au moment de redémarrer, le bus fait un bruit épouvantable. Le système électrique disjoncte et une épaisse fumée se forme dans la cabine du chauffeur. Sourire général, mais à l'odeur de cramé qui inonde le bus, chacun préfère gentiment se hâter de descendre. Le chauffeur essaie de nous rassurer (et de se rassurer lui-même) en nous disant que ce n'est que de la poussière de frein. Puis après un conciliabule avec sa direction au téléphone, il nous annonce se rallier à la prudence et attendre un nouveau bus. Nous passerons donc trois heures en bordure de quai de cette petite gare à regarder le soleil se coucher. Je discuterais avec deux français partis, un peu comme moi, en expédition en Amérique du Nord. Ils ont démarré par l'Alaska (qui était initialement à mon programme) puis ont fait les mêmes étapes que moi au Canada.
A 23h, le deuxième bus arrive et nous nous engouffrons à bord. Mauvaise surprise, celui-ci ayant été affrété en urgence, la vidange des toilettes ne semble pas avoir été faite. En tout cas une odeur désagréable de WC chimique envahit et imprègne l'habitacle. Un tour de cadran plus tard et peu de sommeil au compteur, nous sommes déposés à Sacramento pour la correspondance. Avec 4h30 de retard, évidemment on l'a ratée. Ainsi que la suivante d'ailleurs, de peu. Finalement, après un repas (enfin un burger-frite) gracieusement offert par la compagnie, je peux prendre le dernier bus de ce périple de prés de 24h entre Portland et San Francisco.


En arrivant sur la baie et en empruntant le pont reliant Oakland à San Francisco je découvre une ville plongée dans la brume. Phénomène fréquent paraît-il l'été où la chaleur transforme les eaux froides venant de l'Alaska en brouillard. La deuxième chose qui me marque c'est la proximité de l'île d'Alcatraz. Çà ne se fait peut-être pas à la nage, mais elle est assez visible du pont que je traverse. Une fois déposé au dépôt de Greyhound, il me faut encore prendre un bus local pour rallier l'ouest de la ville. Je traverse, en compagnie des locaux qui ont fini leur journée, le quartier chinois puis le quartier japonais pour finalement arriver dans mon quartier pour quatre jours, le quartier... russe. Une fois mon paquetage déposé je file dans le pub irlandais que j'ai repéré en descendant du bus pour pouvoir premièrement savourer une bière au combien méritée et surtout pour deuxièmement regarder le match d'ouverture de la saison NFL. Un plaisir en tant qu'amateur de ce sport de pourvoir assister à cela à une heure convenable et dans un pays de passionnés. Dans le bar l'ambiance est très bonne, les supporters des champions en titre (les Patriots) assistent à la défaite surprise de leurs protégés et se font gentiment chambrer par le reste du bar.

Depuis mon séjour à New York, les kilomètres à pieds ont défilé. Ceux avec 15kg sur le dos ont sûrement compté triple. En tout cas, je ressens fortement une douleur aiguë au tibia. Mon voyage étant encore long, il faut se ménager un peu. Bref, c'est comme ça que je me suis retrouvé à bord d'un bus touristique à faire le tour de la ville. Finalement c'est un bon compromis car ça permet de voir l'ensemble des points d’intérêts (assez éloignés les uns des autres à San Francisco) tout en pouvant descendre du bus régulièrement pour s'aventurer hors des sentiers battus.

Aujourd'hui également le temps est brumeux. Le brouillard se concentre sur la partie côtière. Aussi, en se rapprochant de l'emblème de la ville, le Golden Gate Bridge, la température baisse et le crachin s'épaissit. En haut du bus à impériale, c'est exposé à l'ardeur d'un vent frais que j'aperçois le célèbre pont rouge. Le sommet de l'ouvrage est noyé dans le brouillard. C'est dans une ambiance typiquement londonienne qu'on le traverse. Malgré la faible visibilité cela reste un très joli pont. Aussi joli que celui qui relie la ville à Oakland mais qui doit avoir le défaut de ne pas être rouge.

 

Loin des grattes ciels, il est plaisant de traverser les différents quartiers composés de vieilles maisons victoriennes aux tons pastels. Un vrai mélange d'ambiance anglaise et espagnole. Le coté rétro de la ville est assez agréable et donne vraiment envie d'y flâner. San Francisco est une très jolie ville, très vallonnée. Tellement, qu'en haut de Lombard street, une route en zigzag a été aménagée pour adoucir une pente initiale de 26°. Bien évidemment c'est une attraction locale. Ah, je l'ai repéré de loin, il suffit de suivre les troupeaux armés de smartphones et/ou d'appareils photos autour du cou et des les voir mitrailler la jolie petite ruelle végétalisée. Des fois cela en est à se demander où est le vrai spectacle à regarder. Car évidemment les gens débordent des trottoirs, se prennent en selfie au milieu de la route et ce d'ailleurs sans se respecter les uns les autres. A l'époque de la photo argentique cela devait être plus calme.


Je vais clore ma journée la dessus. Mon quartier russe étant qu'en même à trois quart d'heure du centre ça me fait de jolis aller-retours quotidien. Le premier matin où j'ai pris le bus, j'ai chaleureusement été accueilli par un chauffeur noir, un léger embonpoint, la cinquantaine approchante, une casquette noire des 49ers vissée sur la tête. En fait, il a fait comme ça avec tous les passagers : sourire, signe de la main, blague. Et ces derniers lui rendaient bien. D'ailleurs j'ai vite compris que beaucoup le connaissait. Ils étaient d'ailleurs nombreux à s'enquérir de sa santé. J'en ai déduis qu'il avait du être absent un long moment. Mais il leur répondait avec un grand sourire que tout allait mieux et qu'il n'avait rien lâché (« I don't give up »). Le gars aime son métier, ça se voit et sincèrement ça met bien la pêche en début de journée. Le trajet en bus étant généralement un temps individuel que chacun partage avec son smartphone. Lui il a crée une atmosphère collective. Cette ligne c'est la ligne 1, une ligne très fréquentée avec environ un bus toutes les dix minutes. Ils doivent être trente ou quarante chauffeurs à la parcourir. Et bien le deuxième jour, à une heure pourtant différente, je suis tombé, avec un grand plaisir, sur le même chauffeur. Et j'ai assisté réjoui au même spectacle.

Je vais pousser au delà du centre ville et me rendre de l'autre côté de la baie, à Oakland. J'emprunte le réseau de train et je me dirige vers le Coliseum qui abrite l'équipe de football des Raiders et l'équipe de base-ball des Athletics, objet de ma visite. Pour être complet, les Golden State Warriors (champion NBA en titre) évolue dans l'Oracle Arena qui touche le stade. Ce sont les trois franchises de la ville. Le stade est vétuste mis fonctionnel et se situe aux abords d'un quartier assez moyen. L'équipe de football était d'ailleurs en tractations avec la Ville pour disposer d'un nouveau stade. Les négociations n'ayant pas abouti, l'équipe s'apprête à déménager pour Las Vegas. Tout un programme. Mais aujourd'hui c'est le base-ball qui est à l'honneur, les A's reçoivent les Houston Astros pour non pas un mais deux matchs qui vont s’enchaîner (à quatre heure la prestation je n'assisterai qu'au premier, comme beaucoup de spectateurs d'ailleurs). Il faut dire que chaque équipe joue plus de 160 matchs par saison. Les A's sont une équipe assez reconnue qui est d'ailleurs au cœur du film Le stratège avec Brad Pitt (j'avais beaucoup aimé. De toute façon dés qu'on me parle de stratégie et de sport...). En ce début d'après-midi le stade est très loin d'être plein. On doit être autour des 10.000 à en juger l'aspect clairsemé des gradins, mais l'ambiance est bonne. Les gens viennent en famille pour passer du bon temps. Avant le match nous avons droit au traditionnel hymne national que tout le monde reprend debout, la main sur le cœur. Enfin pas tout le monde, des jeunes filles, noires, assises derrière moi ne se sont pas levées et l'ont même ostensiblement fait remarquer. Je ne suis pas surpris, il faut savoir que l'ancien quaterback de l'équipe voisine de San Fancisco, Colin Kaepernick, a montré l'exemple en posant le genou au sol durant l'hymne à l'occasion d'un match. Il voulait protester contre les violences policières faites au noirs. Depuis il a fait des émules mais aussi beaucoup divisé. Le système a tranché, il ne retrouve aujourd'hui pas d'équipe. Il est officieusement blacklisté par un business qui n'aime pas les vagues. Le match en lui-même sera assez divertissant et verra la large victoire des locaux 11 à 1.


Je terminerais mon séjour à San Francisco par une visite de la célèbre prison d'Alcatraz. Après un court trajet en ferry (je confirme que l'île est vraiment toute proche) on est accueilli par une nuée de mouches. De l'île on peut profiter du temps ensoleillé et dégagé pour observer le Golden Gate à l'horizon. Fermée depuis 1963, l'édifice carcéral est resté dans son jus, et la visite très bien conçue permet de bien s'imprégner de ce que pouvait être la vie d'un détenu entre les cellules, le réfectoire, la cour commune... En situation, à l'aide de l'audioguide, on visualise bien comment on pu s'élaborer les différentes tentatives d'évasion.



Après la nature canadienne, ma première semaine américaine a été très urbaine. Je ne suis pas mécontent de poursuivre mon périple sur une autre tonalité. C'est ce que je me dis en prenant la route de l'aéroport avec comme prochaine destination Salt Lake City.

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2 commentaires:

  1. J'avais passé 2 jours à Portland (en 2008 si ma mémoire est bonne) et j'avais bien aimé même si rien d’extraordinaire et j'avais été frappé moi aussi par le nombre de clochards dans l'hypercentre (surtout dans le parc). Je me souviens de l'énorme librairie Powells, de l'atmosphère du quartier industriel le long de la rivière, du parc surplombant la ville avec le Rose Garden et la statue de Sacagawea-Lewis et Clark. Le mec de l'auberge m'avait indiqué des bars-ciné-théâtres pour le soir. La scène culturelle "alternative" est pas mal développée... En tout cas j'ai l'impression qu'en 10 ans ça n'a pas beaucoup changé ;)

    Damien

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  2. Faudra aller vérifier dans 10 ans où cela en est.

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